VIH
13e Conférence de l’European AIDS Clinical Society (EACS)
Les inhibiteurs de protéases et les stratégies visant l’épargne des INTI : un rapport de l’EACS
Belgrade – Ayant pressenti que les associations d’antirétroviraux intentionnellement exemptes d’inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse (INTI) pourraient permettre d’éviter les effets toxiques de ces médicaments sur les mitochondries, les chercheurs se sont énormément penchés sur ces schémas thérapeutiques. Or, ces derniers offrent aujourd’hui de nouvelles promesses : ils permettraient de raréfier certaines affections liées au vieillissement et qui sont exacerbées par les INTI, telles que l’altération progressive de la fonction rénale. Elles pourraient même se traduire par des économies. Les participants à la 13e conférence de l’European AIDS Clinical Society (EACS) ont pu prendre connaissance de nouvelles données sur le rôle des inhibiteurs de protéases (IP) dans les schémas thérapeutiques visant l’épargne des INTI. Qu’ils soient jumelés à un autre IP ou à un médicament appartenant à une autre classe thérapeutique, il semblerait que certains centres utilisent déjà ces schémas thérapeutiques systématiquement, même si les critères définissant les meilleurs candidats pour ce type de traitement font encore l’objet d’études cliniques. Dans l’ensemble, les données présentées portent à croire que les schémas thérapeutiques permettant l’épargne des INTI sont des options valables, qui conviendraient à certains groupes précis de patients pour lesquels les INTI sont plus ou moins contre-indiqués. Au fur et à mesure que les données s’accumuleront, le recours à ces schémas thérapeutiques s’étendra peut-être à l’ensemble de la population des porteurs du VIH, y compris ceux qui n’ont jamais reçu de traitement.
Les inhibiteurs de protéases et les traitements permettant l’épargne des INTI
L’ajout d’un inhibiteur de protéases (IP) aux traitements de fond réunissant deux agents nucléosidiques a fait date pendant l’épidémie d’infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), car il a permis de maîtriser durablement cette infection. Si quinze ans plus tard, ces agents restent une option importante dans le traitement du VIH, leur rôle continue néanmoins d’évoluer. Il n’est plus obligatoire que les traitements de première intention contiennent des IP pour être efficaces chez tous les patients jamais traités auparavant, mais ces médicaments continuent de faire preuve de polyvalence dans un large éventail d’indications, y compris dans les schémas thérapeutiques opposés à une charge virale élevée ou à un faible nombre de lymphocytes T CD4+. L’association classique réunissant un IP et deux inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse (INTI) reste viable et utile, mais les données présentées dans le cadre de la 13e conférence de l’European AIDS Clinical Society (EACS) témoignent d’un intérêt grandissant pour l’épargne des INTI que les IP pourraient permettre de réaliser. Il est possible que cette avenue s’accompagne d’une simplification du traitement, mais elle a également été étudiée pour voir si elle ne pourrait en améliorer la tolérabilité et l’innocuité.
Les stratégies dépourvues d’INTI, qui permettent effectivement de réduire le risque de toxicité mitochondriale, ont été utilisées au cas par cas et le sont encore, mais de nouvelles études de grande envergure laissent suggérer qu’elles recèlent bien d’autres possibilités sur le plan clinique.
L’idée d’avoir recours à des traitements antirétroviraux dépourvus d’INTI n’a rien de nouveau. C’est d’abord la possibilité de réduire, voire d’éliminer, les effets toxiques des INTI sur les mitochondries qui a fait naître l’intérêt pour ces traitements. La toxicité mitochondriale associée aux antirétroviraux, qui peut se manifester de plusieurs façons, dont une acidose lactique, une myopathie et une lipodystrophie, a été découverte il y a plus de dix ans, soit peu de temps après l’arrivée des trithérapies. Les INTI analogues de la thymidine ont été reconnus comme les grands coupables de ces effets toxiques puisqu’ils se lient à diverses polymérases de l’hôte de même qu’à la transcriptase inverse du virus. L’une de ces enzymes, l’ADN polymérase gamma, intervient dans la réplication de l’ADN mitochondrial. Les stratégies dépourvues d’INTI, qui permettent effectivement de réduire le risque de toxicité mitochondriale, ont été utilisées au cas par cas et le sont encore, mais de nouvelles études de grande envergure laissent suggérer qu’elles recèlent bien d’autres possibilités sur le plan clinique.
Les nouvelles données issues de l’étude PROGRESS
De toutes les données récentes sur les stratégies permettant l’épargne des INTI, celles qui ont été recueillies pendant l’étude PROGRESS comptent parmi les plus intéressantes. Les données colligées au cours des 48 premières semaines ont été présentées lors de la réunion de 2010 de l’International AIDS Society (IAS) qui a eu lieu à Vienne (REYNES, J., et al. Résumé MOAB0101 présenté à la réunion de 2010 de l’IAS; résumé). Plus récemment, les données des 96 premières semaines ont été présentées aux participants du XVe congrès panaméricain sur les maladies infectieuses qui s’est tenu à Punta del Este, en Uruguay. Au cours de l’étude PROGRESS, 206 patients n’ayant jamais reçu d’antirétroviraux ont été répartis au hasard de manière à recevoir soit une bithérapie formée de lopinavir potentialisé par le ritonavir (LPV/r) et de raltégravir (RAL), un inhibiteur de l’intégrase du VIH, soit une trithérapie renfermant du LPV/r, du ténofovir, un INTI, et de l’emtricitabine (TDF/FTC). Au terme des 96 semaines de suivi, la bithérapie a été jugée non inférieure à la trithérapie, les deux schémas thérapeutiques ayant entraîné une suppression virale pratiquement identique (Fig. 1).
Les nouvelles données de l’étude PROGRESS présentées devant l’EACS ont fait état des résultats d’une comparaison entre les schémas thérapeutiques pour ce qui est de la lipodystrophie objectivée au bout de 96 semaines de traitement (VAN WYK, J., et al. Résumé PS 10/7). Dans cette sous-étude PROGRESS, les sujets ont été soumis à des examens par absorptiométrie à rayons X en double énergie (DEXA) au début de l’étude, puis aux 48e et 96e semaines. Le radiologue ayant interprété les clichés ignorait quel traitement avait été attribué aux patients. Selon les données présentées par le Dr Pere Domingo, de l’Hospital de la Santa Creu i Sant Pau, de Barcelone, en Espagne, bien que la masse graisseuse totale, celle des membres et celle du tronc aient augmenté à la 96e semaine avec les deux schémas thérapeutiques, les gains moyens enregistrés pour ce qui est de la masse graisseuse des membres et de la masse graisseuse totale étaient significativement plus élevés dans le groupe LPV/r + RAL.
Plus précisément, les gains totaux observés à la 96e semaine dans la masse graisseuse totale (25,5 % vs 11,3 %; p = 0,021), celle des membres (27,1 % vs 11,9 %; p = 0,008) et celle du tronc (27,2 % vs 12,4 %; p = 0,037) étaient plus de deux fois plus élevés dans le groupe de sujets ayant reçu le schéma thérapeutique dépourvu d’INTI (Tableau 1). Les pourcentages de patients ayant perdu énormément de poids (par ex., perte de plus de 20 ou 30 %) ou en ayant pris énormément à la hauteur du tronc (par ex., gain de plus de 20 ou 30 %) étaient similaires dans les deux groupes.
L’indice de masse corporelle (IMC) n’a pas eu d’influence sur les différences relatives observées entre les deux groupes pour ce qui est du gain de tissu adipeux dans les membres, mais les patients qui avaient un IMC bas au début de l’étude ont pris plus de poids pendant leur traitement. Plusieurs facteurs indépendants du traitement ont été reliés à une perte de poids de plus de 20 % durant l’étude, y compris une insulinorésistance marquée (p = 0,023), un nombre de lymphocytes T CD4+ inférieur à 200 cellules/mm3 (p = 0,019), l’appartenance à une race autre que la race blanche (p = 0,008) et une activité inflammatoire intense confirmée par des concentrations sériques élevées du facteur de nécrose tumorale (TNF).
Ces observations à propos de la lipodystrophie viennent appuyer la prémisse de départ selon laquelle l’épargne des INTI pourrait comporter des avantages sur le plan métabolique par rapport aux associations classiques formées d’un IP et de deux de ces médicaments. Même si la toxicité mitochondriale n’a pas été expressément évaluée durant cette étude, le désavantage relatif que représente le gain de tissu adipeux dans le groupe ayant reçu l’association TDF/FTC évoque logiquement ce mode d’action.
L’étude HIVNAT019 : résultats d’un traitement formé de deux IP aux fins d’épargne des INTI
Une autre étude, la HIVNAT019, est aussi venue étayer cette prémisse. Elle comportait une analyse évoluée de la fonction mitochondriale du tissu adipeux sous-cutané chez des patients recevant un schéma thérapeutique composé de LPV/r et de saquinavir (SQV) et donc dépourvu d’INTI (FEENEY, E., et al. Résumé PS 10/6). Les résultats de cette étude ont été présentés lors de la conférence de 2011 de l’EACS par le Dr Eoin R. Feeney, du Groupe de recherche moléculaire sur le VIH, de l’École de médecine et des sciences médicales du Collège universitaire de Dublin, en Irlande. Au cours de cette étude réalisée chez 20 patients jamais traités auparavant qui recevaient cette bithérapie à base d’IP, les chercheurs ont effectué des biopsies de tissu adipeux sous-cutané prélevé sur les flancs au début de l’étude, puis à la 2e et à la 24e semaine de traitement. Ils ont ensuite analysé le contenu de ces tissus en protéines et l’expression de l’ADN mitochondrial.
Or, à la 24e semaine, ils ont constaté chez les patients une majoration des gènes SREBP1c et PPARG par rapport au début de l’étude, gènes qui sont associés à une régulation positive de l’adipogenèse. Ils ont également relié ce schéma thérapeutique à deux IP à une réduction des protéines mitochondriales codées au niveau nucléaire. Bien que cette étude porte à croire qu’une certaine dysfonction mitochondriale est déjà apparue chez les porteurs du VIH au moment où ils entreprennent un traitement antirétroviral si l’on se fie aux améliorations observées quant aux gènes SREBP1c et PPARG, elle laisse également suggérer qu’un traitement de six mois sans INTI peut faire rétrocéder ces effets.
De nouvelles données de l’essai MONARCH : les IP en monothérapie
L’essai MONARCH, qui a servi à comparer le darunavir potentialisé par le ritonavir (DRV/r) en monothérapie à un traitement classique composé de DRV/r allié à deux INTI, a également permis de recueillir de nouvelles données selon lesquelles les schémas thérapeutiques intentionnellement dépourvus d’INTI pourraient entraîner une répartition favorable des graisses (GUARALDI, G., et al. Résumé PE7.5/4). Tout au long de cette étude prospective réalisée chez un petit effectif de 30 patients, les chercheurs ont évalué la densité minérale osseuse (DMO), le tissu adipeux viscéral et le tissu adipeux de la jambe. Même si au terme des 48 semaines de traitement, les chercheurs n’ont recensé aucun échec thérapeutique sur le plan virologique dans l’un ou l’autre groupe, ils ont tout de même observé des changements dans l’IMC et la répartition des graisses chez les sujets des deux groupes. Ils ont noté une perte de tissu adipeux viscéral similaire dans les deux groupes, mais une perte de graisse dans les jambes beaucoup plus marquée dans le groupe traité par les INTI. Les chercheurs n’ont constaté chez ces derniers aucune déperdition osseuse dans le rachis lombaire ni dans le fémur, alors que les sujets traités sans INTI ont manifesté un léger gain à ce chapitre. Les auteurs de cette étude, même s’ils ont tenu à préciser que leurs données sont tout à fait provisoires, ont affirmé que la monothérapie sans INTI à base de DRV/r semble exercer un effet positif sur la répartition des graisses et l’IMC.
En plus de ces données, certains centres, qui sont à évaluer et à rapporter systématiquement leur propre expérience, voudraient que des schémas thérapeutiques sans INTI simplifiés deviennent davantage la norme. De nouvelles données rendant compte de l’examen rétrospectif du dossier de 110 patients espagnols traités dans divers centres ont permis d’estimer à 88 % la probabilité que les patients continuent de suivre un traitement par le DRV/r, mais sans INTI (PEREZ-ELIAS, M. J., et al. Résumé PE7.5/3). La plupart de ces patients, chez lesquels on évaluait le DRV/r en monothérapie, étaient passés à cet IP dans le but d’éviter les effets toxiques des INTI.
À la 48e semaine de traitement, le DRV/r en monothérapie avait permis de garder la maîtrise de la virémie chez 82 % des sujets selon l’analyse de la population en intention de traiter et chez 90,2 % des sujets d’après l’analyse de la population traitée. Selon ces données présentées par la Dre Maria J. Perez-Elias, de l’Hospital Ramon y Cajal, de Madrid, en Espagne, les sujets ont bien toléré le traitement et n’ont manifesté aucune des maladies définissant le sida. Aucun facteur qui permettrait de prédire la réponse des patients au traitement n’est ressorti d’une analyse unidimensionnelle et multidimensionnelle.
Les schémas thérapeutiques visant l’épargne des INTI semblent un choix valable pour certains patients soigneusement choisis chez lesquels les INTI ont provoqué des effets indésirables.
Les chercheurs de cette étude ont aussi évalué la tolérabilité du DRV/r en monothérapie chez les 66 sujets (60 % des 110 sujets) qui avaient remplacé leur schéma thérapeutique précédent par ce traitement en raison des effets toxiques qu’ils avaient éprouvés (MARTINEZ-COLUBI, M., et al. Résumé PE7.9/12). Selon les données recueillies, ces effets toxiques se sont atténués chez 34 des 41 patients évaluables (81 %), soit 100 % des patients qui avaient subi des effets toxiques de nature hépatique, osseuse et gastro-intestinale, 78 % de ceux qui avaient connu des effets néphrotoxiques, 67 % de ceux qui présentaient une dyslipidémie et 57 % de ceux qui avaient manifesté une lipodystrophie. Étant donné qu’il a été possible de conserver une bonne maîtrise de la virémie, les auteurs de cette étude ont affirmé que les schémas thérapeutiques visant l’épargne des INTI semblent un choix valable pour certains patients soigneusement choisis chez lesquels les INTI ont provoqué des effets indésirables.
Les données de l’essai MONET colligées à la 144e semaine : un IP en monothérapie
L’essai MONET a servi à évaluer le remplacement de traitements qui avaient permis de maîtriser la virémie (moins de 50 copies du l’ARN du VIH/mL) par le DRV/r en monothérapie ou par le DRV/r allié à deux INTI. Les chercheurs se sont de nouveau penchés sur les données recueillies pour étudier l‘apparition d’une résistance et le coût des soins prodigués. D’après les données définitives colligées sur 144 semaines présentées par le Dr Federico Pulido, de l’Hospital 12 de Octubre, de Madrid, en Espagne, l’analyse selon l’intention de traiter a révélé que le DRV/r en monothérapie et le DRV/r allié aux INTI avaient fait preuve d’une efficacité similaire (82,2 % vs 83,5 %) (HILL, A., et al. Résumé PE5.3/1). Le Dr Pulido a précisé que dans l’ensemble, aucune nouvelle mutation aux IP n’a été objectivée dans les deux groupes de sujets lors des épreuves de génotypage répétées, ce qui est venu étayer la prémisse voulant que ce schéma thérapeutique soit valable chez certains patients. La monothérapie s’est toutefois révélée beaucoup moins favorable chez les patients infectés aussi par le virus de l’hépatite C (VHC). À la 96e semaine, seulement 43,5 % de ces patients bénéficiaient toujours d’une suppression optimale de leur virémie (moins de 50 copies/mL) contre 73,3 % de ceux qui étaient indemnes de cette infection. Indépendamment de cette restriction, une analyse distincte des données de l’essai MONET a permis de conclure que les patients qui passeraient d’un schéma thérapeutique compliqué à une monothérapie par le DRV/r réaliseraient des économies considérables (GAZZARD, A., et al. Résumé PE10.4/4). Selon les calculs effectués à l’aide des coûts globaux de médicament les plus bas en vigueur au Royaume-Uni, un tel scénario entraînerait des économies de plus de 200 millions de dollars en trois ans.
Si les cliniciens se sont efforcés de s’abstenir d’utiliser les INTI, c’est surtout pour éviter leurs effets toxiques, mais la simplification des traitements reste un objectif important à atteindre chez les patients qui sont déjà en traitement. La simplification des traitements présente peu d’intérêt dans le cas des traitements de première intention qui nécessitent l’administration de un ou deux comprimés par jour seulement. Or les patients qui suivent déjà un traitement depuis un certain temps doivent parfois y ajouter de nouveaux médicaments sans pour autant abandonner les INTI qu’ils prennent déjà. Des chercheurs montréalais ont tenté de simplifier les traitements en éliminant les INTI inactifs et en ont évalué l’efficacité (TROTTIER, B., et al. Résumé PE7.5/1). Dans le cadre de leur étude prospective, 31 patients (âge moyen : 50 ans) qui suivaient un traitement depuis 14 ans en moyenne et dont la virémie était bien maîtrisée ont été suivis après le retrait d’un des INTI qu’ils prenaient et qui s’était révélé inactif au terme d’une épreuve de génotypage.
La réduction moyenne des coûts annuels obtenue en éliminant les INTI inefficaces s’élevait à plus de 10 %.
Au bout de 24 semaines de ce traitement simplifié, la charge virale était toujours sous le seuil de détection et le nombre de lymphocytes T CD4+ avait augmenté de 10 cellules/mm3 chez tous les patients sans exception (100 %). Ce gain enregistré pour les lymphocytes T CD4+ n’était certespas important, mais ce traitement simplifié a comporté de nombreux autres avantages, tels qu’une réduction des coûts annuels de 3000 $ (CAN) en moyenne. Par ailleurs, les analyses de laboratoire n’ont mis au jour aucune autre anomalie de grade 2 ou plus, ni aucun autre effet indésirable sérieux. Les INTI les plus souvent délaissés ont été la lamivudine (3TC) et le FTC. Les auteurs de cette étude, avec à leur tête le Dr Benoit Trottier, de la Clinique médicale L’Actuel, de Montréal, au Québec, ont estimé à plus de 10 % la réduction moyenne des coûts annuels obtenue en éliminant les INTI inefficaces.
L’évitement des INTI et l’atténuation des maladies liées au vieillissement
La stratégie visant à éviter de recourir aux INTI dans le but de prévenir l’apparition accélérée des maladies non infectieuses liées au vieillissement chez les porteurs du VIH n’a pas été aussi explorée, mais elle devrait susciter un intérêt grandissant. Une constante ressort d’un grand nombre d’études réalisées récemment : à l’ère des traitements antirétroviraux efficaces, il se pourrait que les maladies liées au vieillissement, telles que les maladies cardiovasculaires et le cancer, l’emportent bientôt sur le sida comme cause principale de décès chez les porteurs du VIH (KLÖTGEN, H-W., et al.; telles que présentées durant la conférence de 2011 de l’EACS. Résumé PE18.4/8). Des chercheurs ont examiné rétrospectivement les dossiers de patients pris en charge à l’hôpital universitaire d’Essen, en Allemagne, et ont comparé les causes de décès recensées pendant trois périodes : de janvier 1998 à octobre 2003, de novembre 2003 à août 2007, puis de septembre 2007 à décembre 2009. Ils ont constaté que les décès attribuables aux maladies définissant le sida avaient chuté de 36 à 22 % de la première à la troisième période. Ils ont également noté qu’au cours de la troisième période, tous les décès imputables au sida étaient survenus chez des patients dont la maladie s’était déclarée tardivement. Durant ces trois périodes, le pourcentage de décès imputables à un infarctus du myocarde (IM) est passé de 0 à 7 %, tandis que celui des décès des suites d’un cancer grimpait de 9 à 24 %.
En règle générale, on estime que les maladies liées au vieillissement, comme les maladies cardiovasculaires, la déperdition osseuse, l’affaiblissement de la fonction rénale et la déficience cognitive, surviennent de 10 à 15 ans plus tôt chez les patients séropositifs à l’égard du VIH comparativement aux patients séronégatifs. Diverses hypothèses ont été avancées pour expliquer cette accélération de la morbidité, une des théories dominantes étant fondée sur la régulation positive d’un état inflammatoire. Fait important à noter, il serait logique que les schémas thérapeutiques exempts d’INTI permettent de raréfier les effets indésirables des INTI qui favorisent l’apparition des maladies liées au vieillissement. Par exemple, la néphrotoxicité du TDF peut y être pour beaucoup dans l’accroissement du risque de maladie cardiovasculaire et de l’ostéoporose, ces deux types d’affections ayant un lien avec la fonction rénale. Il se peut cependant que les IP, qui sont les agents les plus susceptibles d’être utilisés pour les stratégies d’épargne des INTI, présentent certaines différences à ce chapitre.
Selon de nouvelles données obtenues à la suite de l’interrogation d’une volumineuse base de données du programme Medicaid aux États-Unis au sujet de la tolérabilité relative des IP, des différences substantielles auraient été observées entre les divers appareils et systèmes organiques (JUDAY, T., et al; telles que présentées durant la conférence de 2011 de l’EACS. Résumé PE9.1/3). Au cours de cette étude, les chercheurs ont analysé les données colligées par le programme Medicaid dans 10 régions éloignées les unes des autres. Les sujets étudiés étaient des porteurs du VIH âgés de 18 à 64 ans, jamais traités par des IP auparavant, qui entreprenaient un traitement par le LPV, le DRV, l’atazanavir (ATV) potentialisé ou non, ou le fosamprénavir (FPV). Tous les patients recevaient au moins deux INTI, mais dans l’ensemble, il s’agissait d’INTI similaires. Les réclamations médicales de tous les patients ont été groupées en fonction des effets indésirables, puis évaluées.
Si les différences enregistrées entre les quatre IP étaient mineures pour beaucoup d’effets indésirables tels que la lipodystrophie (moins de 0,5 %), ce ne fut pas le cas pour certains autres. En effet, l’incidence des effets indésirables touchant les reins s’élevait à 8,6 % pour le DRV et à moins de 3,5 % pour les trois autres IP. Selon les réclamations étudiées, l’incidence du diabète se chiffrait à 9,5 % pour le DRV, à 6 % pour l’ATV et à 5,7 % pour le FPV, mais seulement à 2,4 % pour le LPV. Côté dyslipidémie, les pourcentages s’établissaient à 9,5 % pour le DRV, à 5,2 % pour l’ATV, à 3,6 % pour le FPV et à 1,5 % pour le LPV, un pourcentage plus de six fois plus élevé pour le DRV que le LPV (Fig. 2). Si l’on considère le traitement globalement, ces différences pourraient peser lourd dans le choix des médicaments à administrer aux porteurs du VIH vieillissants, surtout au chapitre des stratégies visant l’épargne des INTI. Comme la réussite des traitements reposant sur l’administration d’un seul IP potentialisé ou d’un IP allié à un autre agent hormis des INTI dépend énormément de la fidélité du patient à son traitement et de la tolérabilité de ce dernier à long terme, le choix d’un agent risquant relativement peu d’exacerber les maladies liées au vieillissement pourrait avoir son importance.
Les nouvelles lignes directrices de l’EACS : le rôle des IP
Le lancement et la distribution des toutes dernières et très attendues lignes directrices de l’EACS a eu lieu dans le cadre de la conférence de 2011 (6e version, octobre 2011, peut être consultée à l’adresse suivante : www.europeanaidsclinicalsociety.org). Ce guide complet est divisé en quatre chapitres, soit l’évaluation, le traitement, la prévention des maladies concomitantes non infectieuses et la prise en charge des hépatites concomitantes. Ces chapitres couvrent la plupart des enjeux cruciaux des soins actuellement prodigués aux porteurs du VIH. Il est remarquable de constater que du côté des IP, le LPV/r, le DRV/r et l’ATV/r restent, de même que les inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse (INNTI) et les inhibiteurs de l’intégrase, les pierres angulaires des associations médicamenteuses recommandées comme traitement initial allié à deux INTI (Tableau 2). Parmi les autres stratégies envisagées dans leurs lignes directrices, les auteurs mentionnent l’utilisation possible du LPV/r ou du DPV/r en monothérapie chez les patients qui ne tolèrent pas les INTI ou aux seules fins de simplifier le traitement dans les cas où la charge virale se maintient sous le seuil de 50 copies/mL depuis six mois.
Pour ce qui est des problèmes entourant le fonctionnement de divers organes, qu’ils soient liés ou non au vieillissement, les nouvelles lignes directrices fournissent également des recommandations précises à propos du choix du traitement à opposer à diverses complications non infectieuses. Pour ce qui est des IP, par exemple, l’ATV et l’indinavir (IDV) sont pointés du doigt comme facteurs de risque de néphrolithiase et de néphrite interstitielle. Il faudrait donc éviter d’avoir recours à ces agents chez les patients dont la fonction rénale est altérée ou risque de le devenir (Tableau 3). En ce qui concerne la détérioration des fonctions neurocognitives, les lignes directrices précisent que les seuls IP ayant fait preuve d’une pénétration du liquide céphalorachidien (LCR) sont le LPV, le DRV et l’IDV. Cela dit, le LPV/r est le seul IP reconnu efficace contre ce type d’altération. Ces recommandations détaillées concernant le dysfonctionnement des divers systèmes et appareils organiques prennent une importance cruciale dans la prise en charge des porteurs du VIH qui avancent en âge.
Conclusion
Dans le traitement de l’infection par le VIH, rien n’est plus important que la suppression soutenue de la virémie, mais le choix d’antirétroviraux très actifs actuellement offert permet d’envisager d’avoir recours à des stratégies simplifiées. Le rôle des schémas thérapeutiques sans INTI reste à définir, mais tout semble indiquer qu’il est possible d’éviter ces produits et leurs effets toxiques, y compris la lipodystrophie, tout en allégeant considérablement le fardeau imposé au budget affecté aux médicaments. En matière de traitement personnalisé, les schémas thérapeutiques à base d’IP permettant l’épargne des INTI pourraient aussi jouer un rôle majeur chez les porteurs du VIH vieillissants quand un des objectifs visés est de réduire les risques que comportent les traitements au chapitre des maladies cardiovasculaires, de la détérioration de la fonction rénale et de l’altération du métabolisme osseux. Les études multicentriques portant sur l’évitement des INTI, telles que l’étude PROGRESS qui a servi à évaluer le LPV/r et le RAL, sont d’un apport précieux pour définir la place que ces stratégies seront appelées à occuper dans la prise en charge systématique des patients.