VIH
La 13e conférence de la European AIDS Clinical Society (EACS)
Le choix d’un INTI pour éviter les maladies non infectieuses concomitantes chez les porteurs du VIH
Belgrade – Tout comme ce fut le cas lors des récentes conférences scientifiques sur le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), les maladies non infectieuses, notamment les processus liés au vieillissement, ont tenu le haut du pavé lors de la conférence de l’EACS de cette année. D’ailleurs, les nouvelles lignes directrices de l’EACS, qui ont été distribuées au cours de la conférence (et que l’on peut consulter à l’adresse suivante : www.europeanaidsclinicalsociety.org), leur font une large place en abordant, entre autres, la déminéralisation osseuse, les néphropathies et le risque de maladie cardiovasculaire. Aujourd’hui, le choix d’un traitement de fond à base d’inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse (INTI), tout comme celui des médicaments appartenant aux autres classes thérapeutiques utilisées dans la lutte contre le VIH, dépend de plus en plus du risque de complications non infectieuses qu’il comporte en regard du profil de risque personnel du patient. Cette préoccupation est ressortie tout au long de la conférence de l’EACS, mais jamais de façon aussi saisissante qu’au cours d’un débat portant sur trois études de cas. Ces dernières, qui illustraient différentes combinaisons de risques de maladies non infectieuses concomitantes, ont servi de point de départ aux discussions visant à répertorier les considérations les plus importantes entourant le choix des médicaments.
Les traitements antirétroviraux et le risque de maladie
Selon les lignes directrices de l’EACS publiées récemment, les maladies non infectieuses concomitantes, qui sont notamment de nature cardiovasculaire, rénale, hépatique, métabolique, neurologique, cancéreuse et osseuse, prennent de plus en plus d’importance dans la prise en charge de l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), « conséquence du prolongement de l’espérance de vie obtenu grâce à l’efficacité des traitements antirétroviraux ». Si ce sont les traitements antirétroviraux qui permettent aux porteurs du VIH de vivre jusqu’à un âge où ils risquent beaucoup plus d’être atteints de ces maladies, ironiquement, ils pourraient également amplifier certains de ces risques, ou du moins ne pas parvenir à les atténuer. Ce constat a donné lieu à un virage majeur dans le choix des inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse (INTI) et des autres agents antirétroviraux.
Les traitements de fond à base d’INTI ont chacun leurs forces et leurs faiblesses en ce qui concerne le risque de maladies concomitantes.
« Nous pouvons affirmer avec assurance que les deux traitements de fond à base d’INTI sont efficaces. Par conséquent, ce n’est pas l’efficacité qui est le problème, mais les maladies concomitantes avec lesquelles nous devons composer », a déclaré le Dr Paolo Maggi, Professeur d’infectiologie à l’Université de Bari, en Italie et un des participants à l’un des trois débats sur le choix des INTI dans des cas particuliers. Les deux traitements de fond auxquels le Dr Maggi faisait référence étaient l’abacavir (ABC) alliée à la lamivudine (3TC) et le ténofovir (TDF) associé à l’emtricitabine (FTC). Ces deux traitements de fond, qui sont de loin les plus utilisés, ont chacun leurs forces et leurs faiblesses, particulièrement en ce qui concerne le risque de maladies concomitantes.
1re étude de cas : le diabète de type 2 et l’hypertension artérielle
Ce débat, celui auquel le Dr Maggi a participé, portait sur le cas d’un patient atteint de diabète de type 2 et d’hypertension artérielle. Ces maladies concomitantes amplifient le risque de maladie cardiovasculaire, de même que le risque d’altération de la fonction rénale. Son interlocuteur lors de ce débat était le Dr Stefan Mauss, du Centre de traitement du VIH et d’hépato-gastro-entérologie de Düsseldorf, en Allemagne. Se faisant le défenseur de l’association composée de TDF et de FTC au détriment de celle formée d’ABC et de 3TC, le Dr Mauss a cité des données démontrant que l’ABC accroît le risque de maladie cardiovasculaire. De l’avis du Dr Mauss, le risque de maladie cardiovasculaire l’emporte largement sur le risque de néphrotoxicité chez les patients diabétiques. Reconnaissant que l’utilisation du TDF s’accompagne d’une hausse du risque de néphrotoxicité, le Dr Mauss a affirmé « qu’elle est facile à surveiller ».
Ce sont les données issues de la cohorte D:A:D (GROUPE CHARGÉ DE L’ÉTUDE D:A:D, Lancet, vol. 371, 2008, p. 1417-1426) qui les premières ont laissé soupçonné que l’utilisation de l’ABC pourrait accroître le risque de maladie cardiovasculaire. Si plusieurs études réalisées par la suite pour vérifier ces soupçons ont effectivement permis d’établir un lien entre l’ABC et une hausse du risque de maladie cardiovasculaire, de nombreuses autres études n’y sont pas parvenues. Or le Dr Maggi, qui a passé en revue ces données, considère que la toute dernière analyse effectuée par la Food and Drug Administration des États-Unis est peut-être celle qui est la plus solide de toutes. Au terme de cette analyse approfondie des données, qui a été présentée dans le cadre de la Conférence sur les rétrovirus et les infections opportunistes de 2011 (CROI) (DING, X., et al., résumé no 808), la FDA n’a relevé aucun lien de la sorte. Le Dr Maggi a également souligné que jusqu’à maintenant, aucun mécanisme plausible ne vient expliquer un éventuel lien entre l’ABC et une hausse du risque de maladie cardiovasculaire.
2e étude de cas : une charge virale élevée et les options de traitement efficaces
Lors du débat ayant porté sur la première étude de cas, les deux parties ont admis la proposition de départ voulant que les deux traitements de fond à base d’INTI soient dotés d’une efficacité similaire. Cela dit, la deuxième étude cas, qui portait sur un patient de race noire, jamais traité auparavant et ayant une charge virale supérieure à 150 000 copies de l’ARN du VIH/mL a donné le coup d’envoi à un débat sur une différence d’efficacité possible entre ces deux associations d’INTI. En effet, selon le Dr Daniel Podzamczer, Coordonnateur de l’Unité du SIDA de l’Hôpital universitaire de Bellvitge, à Barcelone, en Espagne, les charges virales élevées font pencher la balance en faveur de l’association formée de TDF et de FTC. Il a cité à l’appui l’étude ACTG 5202 (SAX, P. E., et al. N Engl J Med, vol. 361, 2009, p. 2230-2240) qui a révélé que l’association formée d’ABC et de FTC était moins efficace chez les patients dont la charge virale était élevée.
Son interlocuteur, le Dr Alain Lafeuillade, Chef du Département des maladies infectieuses de l’Hôpital général deToulon, en France, a souligné que l’infériorité de l’association ABC/3TC mise au jour durant l’étude ACTG 5202 reposait sur des paramètres d’évaluation tout à fait inhabituels. Par exemple, il suffisait que l’on obtienne une virémie égale ou supérieure à 1000 copies de l’ARN du VIH/mL à une seule occasion pendant les 16 à 24 premières semaines de l’étude pour que le traitement soit considéré comme un échec.
« Normalement, le paramètre utilisé est la proportion de patients dont la virémie est inférieure à 50 copies de l’ARN du VIH/mL. Si l’on applique ce paramètre aux données de l’étude ACTG 5202, il n’y avait aucune différence entre les deux associations d’INTI », a affirmé le Dr Lafeuillade. Il a ajouté que cette étude ne devrait pas être citée hors de son contexte, sur le même pied que le reste des données probantes, comme celles tirées de l’étude multicentrique HEAT (SMITH, K. Y., et al. AIDS, vol. 23, 2009, p. 1547-1556) (Fig. 1) et de l’étude canadienne CANOC (TAN, H. S., et al. J Acquir Immune Defic Syndr, vol. 58, 2011, p. 38-46) (Fig. 2) qui ont démontré que l’association ABC/3TC était tout aussi efficace chez les patients dont la charge virale était élevée. Le Dr Lafeuillade a toutefois appuyé l’utilisation de l’association ABC/3TC comme traitement de première intention logique dans le cas du patient étudié compte tenu du risque plus élevé de néphrotoxicité auquel sont exposés les patients de race noire.
3e étude de cas : l’effet exercé chez les patients atteints d’ostéoporose
Comparant les mérites respectifs de l’association ABC/3TC et de l’association TDF/FTC pour le troisième cas débattu, une femme ménopausée, âgée de 50 ans et présentant plusieurs facteurs de risque d’ostéoporose dont un faible poids corporel, le Dr Pablo Tebas, Directeur de l’Unité des essais cliniques réalisés chez des sidéens, de l’Université de Pennsylvanie, à Philadelphie, a souligné que la déminéralisation osseuse est en voie de devenir un problème majeur, le VIH étant en lui-même un facteur de risque d’ostéoporose. Dans le cas qui nous occupe, le Dr Tebas privilégie l’utilisation de l’association ABC/3TC plutôt que celle de l’association TDF/FTC en s’appuyant sur les données probantes démontrant que le TDF accélère la déperdition osseuse.
« Nous disposons de deux associations d’INTI utilisables dans de multiples circonstances et, à vrai dire, nous pouvons opter pour l’une ou l’autre chez la grande majorité despatients. »
À ce chapitre, le Dr Manuel Battegay, Chef de la Division des maladies infectieuses de l’Hôpital universitaire de Bâle, en Suisse, ne s’est pas dit convaincu que le TDF accroît le risque d’ostéoporose de façon marquée sur le plan clinique. Il a notamment souligné qu’aucune étude comparative n’a permis de faire le rapprochement entre le TDF et une augmentation du risque de fracture. Bien que le TDF n’offre normalement pas le moindre avantage par rapport à l’ABC pour atténuer le risque d’ostéoporose, le Dr Battegay préfère quand même y avoir recours pour d’autres raisons, telles que son efficacité lorsqu’il est allié à l’éfavirenz (EFV) dans le cadre de traitements uniquotidiens.
L’animateur de la séance, le Dr Santiago Moreno, Professeur d’infectiologie, à l’hôpital Ramon y Cajal, de Madrid, en Espagne, a déclaré qu’aucun gagnant n’était ressorti de ces débats. Il a plutôt affirmé : « Nous disposons de deux associations d’INTI utilisables dans de multiples circonstances et, à vrai dire, nous pouvons opter pour l’une ou l’autre chez la grande majorité des patients ».
Conclusion
L’attention redoublée accordée aux complications non infectieuses du VIH dans les nouvelles lignes directrices de l’EACS illustre bien l’importance grandissante qu’elles prennent dans la prise en charge du VIH. Dans de plus en plus de centres, ce qui est vrai aussi au Canada, les cliniciens voient l’âge moyen des porteurs du VIH franchir le seuil de la cinquantaine. Dans ses nouvelles lignes directrices, l’EACS précise qu’il s’agit là d’un phénomène en pleine évolution et que les recommandations formulées quant à l’emploi des agents antirétroviraux sont appelées à changer au fur et à mesure que les résultats de nouvelles études seront connus.