Pneumologie
Conférence internationale de l’American Thoracic Society (ATS) de 2016
Les biomarqueurs de l’asthme grave permettraient une meilleure orientation des nouveaux agents
San Francisco – Grâce aux données issues du Programme de recherche sur l’asthme grave (Severe Asthma Research Program [SARP]), il serait possible d’orienter les plus récents agents ciblés en fonction des facteurs physiopathologiques sous-jacents corrélés aux exacerbations fréquentes et difficiles à faire céder chez les patients asthmatiques. Les données de ce programme, qui ont été présentées lors de la Conférence internationale de l’ATS de cette année, portent à croire que des biomarqueurs bien précis pourraient permettre l’utilisation de nouveaux agents efficaces, quoique coûteux, pour réduire à la fois les risques d’incidents menaçant le pronostic vital et la surconsommation des ressources en santé.
La dernière analyse en date du programme SARP
« Les concentrations élevées de polynucléaires éosinophiles dans le sang, de polynucléaires éosinophiles et neutrophiles dans les expectorations, ainsi que le monoxyde d’azote expiré sont tous des biomarqueurs qui ont été reliés à des exacerbations graves et très fréquentes, mais nos données nous portent à croire que leur pouvoir prédictif en matière d’asthme grave n’est pas le même pour tous les phénotypes recensés dans l’analyse typologique du programme SARP », a rapporté la Dre Maria Theresa D. Opina, chercheuse au programme SARP du National Heart, Lung and Blood Institute, de l’Université de Wake Forest, à Winston-Salem, en Caroline du Nord.
« Une corrélation importante a été établie au sein de la cohorte du programme SARP [asthme grave] entre une concentration de polynucléaires éosinophiles ≥ 2 % dans lesexpectorations et le phénotype victime d’exacerbations très fréquentes. »
Selon l’analyse typologique du programme SARP publiée antérieurement (MOORE, W. C., et al. Am J Respir Crit Care Med, vol. 181,2010, p 315-323), cinq phénotypes distincts ont été répertoriés à partir de 34 variables principales. C’est dans les types 4 et 5 que l’obstruction grave des voies aériennes s’est révélée la plus répandue. Le sous-typage des victimes d’exacerbations très fréquentes (VETF) en particulier, soit celui des patients ayant suivi au moins trois corticothérapies par voie orale au cours des trois années précédentes, a fourni des données encore plus circonstanciées sur le rôle des médiateurs de l’inflammation. « Nous avons établi une forte corrélation entre une concentration de polynucléaires éosinophiles égale ou supérieure à 2 % dans les expectorations et le phénotype VETF au sein de la cohorte du programme SARP, mais lorsque nous avons évalué les types un à un, ce lien n’était significatif que pour le type 4 », a affirmé la Dre Opina (Fig. 1). Bien qu’elles aient été reliées à un asthme « sujet aux exacerbations », les concentrations élevées de polynucléaires neutrophiles dans les expectorations ne se sont pas révélées un facteur de prédiction d’un phénotype VETF dans l’ensemble de la cohorte du programme SARP ni dans aucun des types répertoriés, peu importe les valeurs seuils utilisées. Un lien significatif a été établi entre un taux de monoxyde d’azote expiré élevé, qui a été fixé à 35 p.p. 109 au moins, et le phénotype VETF dans les types 4 et 5, sa valeur prédictive étant plus forte pour le type 5. La variabilité de l’expression des médiateurs de l’inflammation entre les divers types répertoriés par le programme SARP rejoint le principe énoncé dans les lignes directrices émises conjointement par l’ATS et la European Respiratory Society (ERS) selon lequel l’asthme grave aurait des causes multiples (CHUNG, K. F., et al. Eur Respir J, vol. 43,2014, p. 343-373). D’après ces lignes directrices, l’asthme grave, à distinguer de l’asthme « difficile », se caractérise par des symptômes impossibles à maîtriser malgré l’utilisation de doses fortes de corticostéroïde pour inhalation (CSI) et d’un deuxième agent comme traitement d’entretien. On peut y lire que selon les estimations, jusqu’à 10 % des patients asthmatiques présenteraient un phénotype grave qui les expose à un risque exacerbé d’incidents potentiellement mortels.
Les nouveaux agents ciblés opposés à l’asthme grave
Les avancées réalisées dans la définition des sous-types d’asthme grave seront pour beaucoup dans l’utilisation efficiente des nouveaux agents ciblés, notamment les anticorps monoclonaux (AcM) dirigés contre l’interleukine-5 (IL-5). Plusieurs études présentées à la conférence de l’ATS ont confirmé l’activité de ces agents contre l’asthme grave et donnent à penser que certains sous-groupes de patients pourraient en bénéficier plus que d’autres.
Par exemple, selon les données relatives à l’efficacité issues de deux études de phase III ayant porté sur le reslizumab, l’incidence des exacerbations calculée chez les sujets affectés au groupe traité par cet AcM aurait diminué de 50 % comparativement à celle enregistrée chez les témoins ayant reçu un placebo (0,84 vs 1,81 exacerbation/année; ratio des incidences : 0,46; p < 0,0001). Cela dit, les auteurs de cette analyse, qui avaient à leur tête le Dr Eric Bateman, de la National Research Foundation, de Cape Town, en Afrique du Sud, ont rapporté qu’une amélioration rapide de la fonction respiratoire et de la maîtrise des symptômes était un facteur prévisionnel supplémentaire de bienfaits à long terme (Fig. 2). « La baisse de l’incidence annuelle des exacerbations a été reliée à une amélioration proportionnelle du VEMS à la 16e semaine », a souligné le Dr Bateman. Il a ajouté qu’un lien semblable avait été établi entre les bienfaits du traitement et une amélioration rapide de l’état des patients objectivée à l’aide du Questionnaire sur la maîtrise de l’asthme en 6 points (QMA-6). Un des critères d’admissibilité de cette analyse réalisée chez 953 patients répartis aléatoirement de manière à recevoir du reslizumab à 3,0 mg/kg ou un placebo toutes les quatre semaines était une concentration préthérapeutique de polynucléaires éosinophiles égale ou supérieure à 400 cellules/μL. À la 16e semaine, le VEMS de 58 % des patients traités par le reslizumab avait réagi favorablement au traitement, la réponse étant définie comme une hausse d’au moins 100 mL et le score obtenu au QMA-6 témoignait également d’un résultat positif chez 71 % des patients, soit une amélioration minimale de 0,5 unité. Or 83 % des sujets présentaient l’une ou l’autre de ces réponses. En discutant du fait qu’une réponse rapide permet de prédire une meilleure protection contre les exacerbations, le Dr Bateman a fait remarquer qu’au début de l’étude, les répondeurs affichaient une concentration sanguine de polynucléaires éosinophiles plus élevée et une prévalence de troubles allergiques légèrement plus faible que les non-répondeurs. Une éosinophilie plus ou moins importante a servi de critère d’admissibilité dans la plupart des essais ayant porté sur les agents dirigés contre l’IL-5, dont le reslizumab et le mépolizumab, mais il n’en demeure pas moins que d’autres biomarqueurs ou caractéristiques des patients pourraient être utiles pour sélectionner ceux auxquels ce type de traitement conviendrait particulièrement. Une analyse a posteriori des caractéristiques des patients au début des essais DREAM et MENSA, des essais contrôlés par placebo ayant porté sur le mépolizumab, a été présentée lors de la conférence de l’ATS de 2016. Aucune différence n’est ressortie chez les sujets s’étant prêtés au processus de répartition aléatoire pour ce qui est des incidents majeurs tels que les hospitalisations ou les incidents quasi mortels, qu’ils aient présenté une concentration de polynucléaires éosinophiles inférieure à 300 cellules/μL ou égale ou supérieure à 300 cellules/μL au moment de leur recrutement. Toutefois, ces données présentées par le Dr Eric Bradford, chercheur chez GlaxoSmithKline, au Research Triangle Park, en Caroline du Nord, ont été contredites par celles tirées d’une autre étude ayant servi à évaluer les exacerbations de l’asthme pendant une période médiane de 4 ans chez 4838 patients stratifiés en tertiles en fonction de leur concentration de polynucléaires éosinophiles mesurée au début de l’étude. Le risque d’exacerbations graves (commandant l’hospitalisation du patient) a grimpé de 65 % et celui d’exacerbations modérées (exigeant une corticothérapie de courte durée), de 56 % chez les sujets du tertile le plus élevé comparativement à ceux du tertile le plus bas. « Nous avons également constaté un risque étonnamment élevé d’exacerbations modérées chez les patients dont les concentrations sanguines de polynucléaires éosinophiles étaient faibles, mais cela s’expliquait par leurs taux sanguins de polynucléaires neutrophiles élevés », a précisé la Dre Signe Vedel-Krogh, de l’Hôpital universitaire de Copenhague, à Herlev, au Danemark.
Conclusion
L’attention croissante que suscitent les médiateurs de l’inflammation dans les cas d’asthme grave a une incidence majeure sur l’orientation des nouveaux agents, tels que les AcM anti-IL-5 vers les patients qui sont susceptibles d’en tirer le plus de bienfaits.