Psychiatrie
Lignes directrices CANMAT : revue d'expert et commentaires tirés de la littérature
Lignes directrices actualisées du CANMAT – Composer avec une réponse insatisfaisante au traitement du trouble dépressif majeur
Valérie Tourjman, M. D., FRCPC
Professeure agrégée, Université de Montréal
Chef médical de services d’électroconvulsivothérapie, Institut universitaire en santé mentale de Montréal (IUSMM)
Coordonatrice médical de services de traitement de troisième ligne en psychiatrie, IUSMM
Montréal (Québec)
Sidney Kennedy, M. D., FRCPC
Professeur et titulaire de la chaire Arthur Sommer-Rotenberg, Université de Toronto
Scientifique, Institut du savoir Li Ka Shing et Institut de recherche Krembil
Directeur, Institut de recherche Homewood
Toronto (Ontario)
Depuis la publication en 2016 de ses lignes directrices sur le traitement du trouble dépressif majeur (TDM)1, le Canadian Network for Mood and Anxiety Treatments (CANMAT) a réexaminé la méthode de prise en charge des réponses insuffisantes aux médicaments de première ligne2. Au lieu des remplacements successifs de monothérapies, ses recommandations factuelles, qui s’adressent tant aux spécialistes qu’aux non-spécialistes, préconisent désormais un recours plus rapide à un médicament d’appoint quand l’antidépresseur initial dont la dose a pourtant été optimalisée donne des résultats insatisfaisants. Le CANMAT constate que les traitements de première ligne échouent chez environ la moitié des patients et que la réponse thérapeutique diminue au fur et à mesure de tels remplacements. Il insiste également sur la collaboration entre le patient et son médecin, et fournit aux spécialistes et aux médecins de première ligne une marche à suivre logique dans les cas où l’orientation du patient est impossible ou peu pratique.
Mode de traitement en soins primaires
Selon les données citées dans les nouvelles lignes directrices du CANMAT publiées en 2024 et un examen des données effectué en 2023, à peine 20 % des Canadiens atteints d’un TDM confirmé recevraient un traitement approprié. La dépression, un problème de santé publique majeur3, est une maladie débilitante qui nuit à la qualité de vie et à la productivité, et qui peut engager le pronostic vital des patients ayant des idées suicidaires4.
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Les lignes directrices du CANMAT insistent sur l’importance de l’alliance thérapeutique entre le médecin et son patient, fondement de la surveillance de la réponse, de l’innocuité et de la tolérabilité. Comme il faut souvent changer le traitement ou l’adapter advenant une réponse insatisfaisante ou pour éviter des effets indésirables, les cliniciens doivent être prêts à en réduire la dose, à passer à un autre médicament ou à ajouter un agent en appoint.
L’ajout d’un agent d’appoint à l’antidépresseur initial des patients affichant une réponse insatisfaisante ou partielle visant à leur offrir un traitement bien toléré leur permettant de retrouver leur fonctionnement et leur qualité de vie d’avant se situe désormais plus haut dans l’algorithme. Définissant une bonne réponse thérapeutique comme une réduction d’au moins 50 % de l’intensité des symptômes, le CANMAT précise que la moitié environ des patients obtient une telle réponse avec la monothérapie antidépressive qui leur a été prescrite en première ligne.
Que faut-il faire quand l’antidépresseur initial est un échec?
Pensant aux quelque 50 % des cas qui ne répondraient pas bien au traitement de première ou de deuxième ligne, le CANMAT préfère désormais l’expression dépression difficile à traiter à dépression réfractaire au traitement qui était couramment utilisée auparavant pour qualifier une réponse insuffisante à au moins deux antidépresseurs. Plus inclusive, cette expression met l’accent sur les objectifs priorisés par les patients et laisse entendre que les gains vont souvent en s’accroissant, même si la rémission est incomplète; elle met également les patients à l’abri de tout reproche implicite.
En pareil cas, le CANMAT recommande que le clinicien et le patient évaluent ensemble la réponse thérapeutique au moyen des mesures des résultats rapportés par les patients (MRRP) et des échelles normalement utilisées par le clinicien. En plus de déceler les variations longitudinales des symptômes, les technologies des soins de santé numériques comme les applications mobiles et les programmes en ligne servant à suivre l’évolution des symptômes peuvent être utiles pour les MRRP, celles-ci incitant les patients à participer à l’évaluation de leur propre traitement.
De qualité très variable, d’une fiabilité restant à valider et non interchangeables, ces technologies et autres méthodes de surveillance des MRRP sont un bon moyen de vérifier l’effet des traitements pharmacologiques et des changements apportés au mode de vie, et ceux de techniques comme la pleine conscience et la médiation sur l’amélioration de l’humeur. L’importance donnée aux MRRP permet d’enregistrer des gains thérapeutiques grâce à diverses stratégies utilisées ensemble pour maîtriser correctement les symptômes et évite l’assimilation d’une réponse partielle à de la résistance, ce qui peut avoir une connotation péjorative et décourageante.
Coup de barre : recourir aux médicaments d’appoint plus tôt
Cette consolidation des gains enregistrés pour la maîtrise des symptômes cadre bien avec une intensification des traitements de première ligne reposant sur des médicaments d’appoint au lieu d’une succession de monothérapies qui offrent individuellement peu de chances de rémission. Comme c’était le cas dans l’ancienne version des lignes directrices, il faut vérifier l’adhésion thérapeutique et le respect de la posologie du traitement de première ligne avant de le modifier; une réponse partielle ne justifie pas toujours de laisser tomber l’antidépresseur de première ou de deuxième ligne.
Cette réorientation repose sur des données probantes montrant que la maîtrise des symptômes s’estompe un peu plus chaque fois qu’une monothérapie antidépressive est remplacée par une autre de la même classe pharmacologique ou non. Le CANMAT, qui fonde cette recommandation sur des revues systématiques et des méta-analyses, ne nie pas les bienfaits d’un remplacement, surtout si l’antidépresseur initial a eu un effet minime, voire nul. Néanmoins, l’ajout d’un deuxième agent comporterait plusieurs avantages comparativement au changement de médicament, notamment l’effet d’un second mode d’action et la possibilité de minimiser les effets indésirables avec des doses faibles de deux médicaments plutôt qu’une dose élevée d’un seul.
Selon le nouvel algorithme, il faut changer de médicament ou ajouter un antidépresseur en appoint quelques semaines après que le patient se soit plaint de l’effet insuffisant de son traitement antidépresseur de première ou de deuxième ligne optimalisé (Figure 1). D’après les lignes directrices, si les scores symptomatologiques ne baissent pas d’au moins 20 % en 4 semaines, l’obtention d’une réponse satisfaisante en 8 ou en 12 semaines est peu probable. Le remplacement de l’antidépresseur initial par un autre pour cause d’intolérance se justifie, mais l’ajout d’emblée d’un traitement d’appoint est particulièrement intéressant quand la réponse au traitement de première ligne, même partielle, est décevante.
Médicaments d’appoint de première ligne : avantages des modulateurs de l’activité sérotonine-dopamine
Les agents d’appoint préconisés par le CANMAT sont le brexpiprazole et l’aripiprazole (Tableau 1) qui ont tous deux été homologués au Canada pour cette indication à la lumière d’essais comparatifs.
Le brexpiprazole, d’abord homologué contre la schizophrénie, est maintenant indiqué contre plusieurs maladies psychiatriques, la plus récente étant la maîtrise de l’agitation associée à la démence de type Alzheimer. Homologué au Canada comme traitement d’appoint du TDM depuis 2019, ce modulateur de l’activité sérotonine-dopamine s’est montré efficace dans plusieurs études cliniques contrôlées par placebo ayant également confirmé sa tolérabilité. Neuf d’entre elles ont fait l’objet d’une méta-analyse en 20195. Elles portaient toutes sur l’emploi du brexpiprazole comme traitement d’appoint chez des patients atteints d’un TDM n’ayant pas répondu à au moins un antidépresseur.
L’aripiprazole, un autre modulateur de l’activité sérotonine-dopamine d’abord indiqué contre la schizophrénie, a été homologué comme traitement d’appoint du TDM environ 5 ans avant le brexpiprazole au Canada. Il ressort d’une méta-analyse de huit études à répartition aléatoire ayant servi à comparer l’aripiprazole comme traitement d’appoint du TDM à un placebo ou à un autre agent actif que l’aripiprazole était également efficace sur les mesures objectives de la réponse. Les effets indésirables étaient généralement plus répandus avec l’aripiprazole qu’avec les agents de comparaison6.
Aucune étude clinique n’a comparé le brexpiprazole et l’aripiprazole; cela dit, ils sont différents pharmacologiquement parlant. L’activité du brexpiprazole sur les récepteurs sérotoninergiques 5-HT2A et 5-HT1A est élevée, mais l’activité intrinsèque exercée sur le récepteur dopaminergique D27 et sur le récepteur histaminique H1 l’est moins. Cette activité réduite sur le récepteur D2 laisse entrevoir un risque plus faible d’acathésie et de symptômes extrapyramidaux8.
Si le CANMAT privilégie ces deux modulateurs de l’activité sérotonine-dopamine comme médicaments d’appoint de première ligne dans les cas de TDM, c’est en raison de l’uniformité des données probantes confirmant leurs bienfaits et le risque d’effets indésirables plus faible qu’avec les agents de deuxième ligne; d’abord dirigés contre la schizophrénie, beaucoup d’entre eux sont maintenant indiqués contre plusieurs maladies. Utilisés à faibles doses relatives dans le traitement s’appoint du TDM, ces modulateurs de l’activité sérotonine-dopamine s’accompagnent d’une baisse du risque d’effets indésirables encore plus marquée que celle observée avec les antipsychotiques atypiques plus anciens.
Les lignes directrices actualisées mentionnent le bupropion et d’autres antipsychotiques atypiques (p. ex. l’olanzapine et la rispéridone) comme traitements d’appoint de deuxième ligne, mais les modulateurs de l’activité sérotonine-dopamine provoquent habituellement moins d’effets indésirables que les agents plus anciens utilisés comme antipsychotiques à des doses couramment utilisées en appoint.
Advenant une réponse insatisfaisante à un antidépresseur de première ligne allié à un traitement d’appoint, les choix possibles comprennent la neuromodulation ou des traitements d’association plus intensifs qu’il vaudra mieux laisser à l’attention de spécialistes, mais les lignes directrices indiquent que le TDM peut être pris en charge en milieu de soins primaires en suivant l’algorithme fourni.
Résumé
Le TDM, une affection très répandue au Canada, est sous-diagnostiquée et souvent traitée incorrectement malgré un arsenal thérapeutique efficace. Les antidépresseurs de première ligne permettent à environ la moitié des patients d’obtenir une rémission, d’où l’importance de surveiller la réponse et d’envisager une démarche de rechange quand les symptômes sont mal maîtrisés.
Le CANMAT a apporté un changement majeur dans ses nouvelles lignes directrices : l’emphase de l’utilisation de traitements d’appoint quand l’antidépresseur employé en première ou deuxième ligne n’est pas assez efficace. Contrairement aux monothérapies successives, le traitement d’appoint a plus de chances de bien maîtriser les symptômes tout en préservant les gains partiels obtenus avec le traitement initial. Une bonne collaboration entre le patient et son médecin permettra de mieux cerner une réponse insatisfaisante. Les médecins de soins primaires trouveront dans les lignes directrices la séquence logique à suivre pour appliquer l’algorithme thérapeutique avant de faire appel à un spécialiste.
Références
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- Lam RW, Kennedy SH, Adams C, et al. Canadian Network for Mood and Anxiety Treatments (CANMAT) 2023 Update on Clinical Guidelines for Management of Major Depressive Disorder in Adults. Can J Psychiatry 2024; publié en ligne le 6 mai avant impression. DOI:10.1177/07067437241245384.
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