cardiologie
60e séance scientifique annuelle de l'American College of Cardiology (ACC)
Une étude comparative menée avec répartition aléatoire des sujets révèle que les IPP se différencient
Nouvelle-Orléans – Certains inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) pourraient comporter un risque appréciable d’interactions médicamenteuses en entrant en compétition avec les autres médicaments au moment de leur biotransformation par le système de cytochromes P-450 hépatique. Parmi ces interactions possibles, la plus sérieuse serait celle qui se produirait avec le clopidogrel, un agent antiplaquettaire employé dans la prévention des incidents cardiovasculaires. Toutefois, une étude comparative réalisée récemment avec répartition aléatoire des sujets et ayant porté sur certains IPP – qui ne sont pas tous biotransformés par voie hépatique – a fait ressortir des différences considérables entre ces produits pour ce qui est de leurs interactions avec le clopidogrel. Les IPP étudiés ont tous été administrés à des doses standard. Or on a constaté que celui qui a le moins émoussé l’effet antiplaquettaire du clopidogrel est un nouveau venu au sein de cette classe, tandis que celui l’a altéré le plus est un agent plus ancien. Ces observations sont importantes, compte tenu des effets potentiellement salvateurs du clopidogrel pour les patients atteints de maladies cardiovasculaires qui reçoivent des IPP, ces derniers étant souvent employés de manière concomitante chez les nombreux patients qui ont aussi besoin de leurs effets gastroprotecteurs. Cette étude comparative a également révélé que le sort pharmacocinétique du clopidogrel a varié énormément chez les sujets observés, et ce, avant même qu’un IPP ne leur soit administré.
Non seulement le clopidogrel, un agent antiplaquettaire, et les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) font-ils partie des agents les plus prescrits, mais en plus, ils sont souvent administrés ensemble. En effet, iI n’est pas rare qu’un patient vieillissant atteint d’une maladie cardiovasculaire exigeant l’utilisation d’un agent antiplaquettaire ait aussi besoin d’un IPP pour réduire le risque de lésions gastriques imputables à ce type d’agents et aux anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS). Cette situation a pris une importance toute particulière dans le cadre d’un essai réalisé avec répartition aléatoire des sujets, ayant porté sur divers IPP, récents ou non. Cette étude a effectivement démontré que les IPP ne sont pas interchangeables si on s’attarde à leur influence sur l’effet antiplaquettaire du clopidogrel, une observation qui pourrait susciter certaines interrogations à propos d’autres interactions médicamenteuses majeures.
« On ne semble pas se rendre compte du fait que les IPP ne sont pas interchangeables comme l’a démontré cette étude. »
« Ce qu’il faut retenir, c’est que les IPP ne sont pas interchangeables et que leurs effets sur l’activité du clopidogrel peuvent être réduits au minimum si on a recours au dexlansoprazole ou au lansoprazole plutôt qu’à l’esoméprazole ou à l’oméprazole », a déclaré le Dr Andrew L. Frelinger, troisième du nom, Directeur adjoint du Center for Platelet Research Studies, de l’école de médecine de Harvard, à Boston, au Massachusetts. « On ne semble pas se rendre compte du fait que les IPP ne sont pas interchangeables comme l’a pourtant démontré cette étude ».
Étude des effets des IPP sur l’activité d’un agent antiplaquettaire
Cette étude comportait deux volets importants : le volet principal a servi à comparer l’effet de certains IPP sur l’activité du clopidogrel. Les IPP soumis aux essais étaient le lansoprazole, l’oméprazole, l’esoméprazole et le dexlansoprazole, un nouvel agent qui offre un double mode de libération retardée, d’où l’obtention de deuxpics de concentration plasmatique et, par ricochet,une meilleure maîtrise de l’acidité sur 24 heures. Ont également été analysées les données issues d’une évaluation réalisée au début de l’étude sur les variations interindividuelles des paramètres pharmacocinétiques du clopidogrel chez les patients qui ne prenaient pas d’IPP. Premier passage obligé dans la comparaison des IPP, cette évaluation s’est révélée précieuse en elle-même, puisqu’elle a fait ressortir la très grande variabilité du sort pharmacocinétique que connaît le clopidogrel, même en l’absence d’IPP. Cent soixante sujets sains ont participé à cette étude. Ces sujets étaient sevrés de nicotine depuis six semaines au minimum; ils n’avaient pas consommé d’alcool ni de caféine depuis au moins 72 heures et ne prenaient aucun médicament délivré sur ordonnance ou en vente libre. En outre, tous les sujets étaient homozygotes pour le génotype CYP2C19 dénotant les métaboliseurs rapides, une variable confusionnelle largement reconnue en ce qui a trait à la biotransformation du clopidogrel. Tous les IPP évalués ont été administrés à des doses standard, sauf l’oméprazole, qui l’a été à la dose de 80 mg afin de provoquer intentionnellement une interaction avec le clopidogrel et, de ce fait, de fournir des témoins positifs. Pendant la première phase de l’étude, certains sujets ont reçu du clopidogrel à 75 mg en monothérapie, puis cet agent antiplaquettaire et un IPP pendant la deuxième phase, tandis que d’autres ont reçu les mêmes agents, mais dans l’ordre inverse. Ces deux phases de 10 jours chacune ont été séparées d’une période de sevrage. Le sort pharmacocinétique du clopidogrel chez les divers sujets a été comparé au moyen de la concentration plasmatique maximale (Cmax) et de l’aire sous la courbe (ASC) rendant compte de l’exposition au médicament. La réactivité et l’agrégation plaquettaires ont été mesurées à l’aide des indices habituels après provocation à l’adénosine diphosphate (ADP) à des concentrations de 5 et de 20 μg. Pendant que les sujets ne prenaient pas d’IPP, les chercheurs n’ont remarqué aucune différence dans les valeurs obtenues pour les paramètres pharmacocinétiques ou pour la fonction plaquettaire, peu importait le groupe examiné. En revanche, ils ont constaté que pendant la prise des IPP, les plus grandes variations des paramètres pharmacocinétiques s’étaient produites avec l’esoméprazole et l’oméprazole et les moins marquées, avec le dexlansoprazole et le lansoprazole. Or ces effets différents exercés sur les paramètres pharmacocinétiques – par exemple, les répercussions relativement faibles du dexlansoprazole sur l’ASC comparativement à celles de l’esoméprazole – se sont traduits par des différences correspondantes au chapitre de l’effet antiplaquettaire observé (voir la Figure 1) (Fig. 1). « La réduction de l’effet antiplaquettaire était de la même ampleur, que le clopidogrel ait été administré avec de l’esoméprazole à 40 mg ou avec de l’oméprazole à 80 mg », a affirmé le Dr Frelinger. Cette assertion s’est vérifiée aux deux concentrations d’ADP (5 ou 20 μg) employées. En revanche, quand la concentration d’ADP la plus faible était utilisée, ni le dexlansoprazole ni le lansoprazole n’ont entraîné de réduction significative de l’effet antiplaquettaire du clopidogrel. À la concentration la plus élevée cependant, le dexlansoprazole s’est révélé le seul IPP qui n’avait pas émoussé l’effet antiplaquettaire du clopidogrel de manière significative (voir la Figure 2) (Fig. 2).
Même si ces données viennent confirmer que les IPP ne sont pas interchangeables, elles révèlent aussi que l’inhibition relative de la sécrétion acide n’a pas d’incidence sur le sort pharmacocinétique du clopidogrel ni sur son activité.
Même si ces données viennent confirmer que les IPP ne sont pas interchangeables, elles révèlent aussi que l’inhibition relative de la sécrétion acide n’a pas d’incidence sur le sort pharmacocinétique du clopidogrel ni sur son activité. À preuve, le dexlansoprazole, l’IPP offrant probablement la maîtrise de l’acidité la plus constante sur une période de 24 heures grâce à ses deux pics de concentration plasmatique, est celui qui a le moins affaibli l’activité du clopidogrel. L’évaluation de la réactivité plaquettaire réalisée chez les sujets avant qu’ils ne soient exposés aux IPP est venue amplifier la portée que pourraient avoir, sur le plan clinique, les différences observées entre ces médicaments. Lors de cette évaluation, les chercheurs ont noté une grande variabilité de l’ASC obtenue pour le métabolite actif du clopidogrel et de l’intensité de l’inhibition de l’agrégation plaquettaire. En effet, la variation de cette dernière pouvait aller jusqu’à 35 %, même en l’absence de polymorphisme génétique et d’autres variables confusionnelles chez les participants à l’étude. Malgré les efforts considérables déployés pour maîtriser un large éventail de variables, telles que le poids des sujets, voire la précision des analyses de laboratoire, « nous avons été incapables d’expliquer plus de la moitié des variations interindividuelles que nous avons observées, » a jouté le Dr Frelinger. Cela pourrait avoir des implications importantes pour qui souhaite appliquer des stratégies risquant le moins d’accroître cette variabilité de la réaction des patients au clopidogrel. Selon le Dr Frelinger, les répercussions possibles des IPP sur l’efficacité du clopidogrel « pourraient être réduites au minimum si on optait, par exemple, pour le dexlansoprazole plutôt que pour l’esoméprazole ». Bien que Santé Canada ait formulé une mise en garde il y a près de deux ans selon laquelle « Les professionnels de la santé doivent savoir que les inhibiteurs de la pompe à protons ou d’autres médicaments qui inhibent l’isoenzyme CYP2C19 peuvent potentiellement interagir avec le clopidogrel, conduisant à une réduction de l’activité clinique de ce dernier », aucune étude comparative avec répartition aléatoire des sujets n’a encore été menée sur les IPP.
Conclusion
La dépendance de bon nombre d’IPP à l’égard du système de cytochromes P-450 hépatique risque de donner lieu à des interactions médicamenteuses majeures, notamment avec le clopidogrel. Celui-ci étant associé à une baisse importante du risque d’incidents cardiovasculaires, grâce à son effet antiplaquettaire, des interactions de ce genre pourraient bien être des plus inquiétantes. La comparaison d’IPP qui ne sont pas dépendants du système de cytochromes P-450, tels que le dexlansoprazole, à d’autres qui le sont, comme l’esoméprazole, laisse effectivement entrevoir à ce chapitre des différences possiblement significatives sur le plan clinique. Dans le cadre d’une étude comparative réalisée avec répartition aléatoire des sujets, l’esoméprazole a considérablement émoussé l’effet antiplaquettaire du clopidogrel contrairement au dexlansoprazole qui n’a eu aucune influence notable sur ce paramètre, même si le double mode de libération retardée de ce médicament se traduit par deux pics de concentration plasmatique. Figure 3 (Fig. 3).