Revue d’experts
Les 5 dermopathies les plus courantes en médecine de première ligne
Chapitre 2 : L’eczéma atopique
Directeur scientifique invité
Simon Nigen, M.D.
Questions et réponses : le point de vue d’un allergologue
Jason K. Lee, M.D., FRCPC, FAAAAI, FACAAI
L’eczéma atopique, ou dermatite atopique, est une dermatose inflammatoire et prurigineuse aux manifestations variables, mais qui comprennent souvent une combinaison de vésicules, de papules et d’œdème. Les auteurs de lignes directrices ne s’entendent pas sur la présence d’antécédents d’atopie comme condition sine qua non à un diagnostic d’eczéma atopique, mais ils conviennent que le diagnostic repose sur les signes cliniques. L’eczéma apparaît le plus souvent pendant l’enfance, jusqu’à 60 % des cas se déclarant pendant la première année de vie. Environ 10 % des Canadiens sont atteints de dermatite atopique durant leur enfance, mais des taux plus élevés ont été rapportés ailleurs. Jusqu’à 70 % d’entre eux voient cette maladie disparaître spontanément avant leur adolescence. Sans être rare, la dermatite atopique est moins répandue chez les adultes.
L’eczéma atopique, qui est souvent découvert sur le cuir chevelu, le visage ou les plis de flexion des membres, se caractérise par son évolution cyclique et adopte une forme légère ou modérée dans la grande majorité des cas. Toutefois, 10 % des patients sont atteints d’une forme grave de la maladie se manifestant par des poussées fréquentes et par une charge lésionnelle considérable. Les patients atteints d’eczéma atopique dès leur jeune âge sont souvent affligés d’autres affections atopiques, comme l’asthme et la rhinoconjonctivite d’origine allergique. S’il est vrai qu’une infection peut venir compliquer l’eczéma atopique, il demeure que les plus grands problèmes causés par cette maladie sont essentiellement des malaises physiques et une détresse psychologique.
Physiopathologie
La pathogenèse de l’eczéma atopique s’explique par un dysfonctionnement tant des défenses immunologiques que de la barrière épidermique, mais cette interaction est encore mal comprise. Même si le taux de concordance enregistré pour l’eczéma atopique chez les jumeaux homozygotes est de 77 %, ce qui laisse entrevoir une forte héritabilité de la maladie, des études menées sur des variantes génétiques indiquent que des déclencheurs environnementaux pourraient jouer un rôle majeur dans son apparition, du moins chez certains patients4. Nous savons qu’un dysfonctionnement immunitaire et qu’un dérèglement fonctionnel de la barrière épidermique sont impliqués dans l’expression de la maladie, mais nous ignorons lequel se produit en premier. L’examen histopathologique de la peau eczémateuse montre un infiltrat périvasculaire composé de lymphocytes, de macrophages, de cellules dendritiques et d’éosinophiles, qui pourrait faire office de catalyseur de la maladie ou être le résultat d’une réaction immunologique à l’affaiblissement de la barrière épidermique (Fig. 1).
En gros, les facteurs intervenant dans la pathogenèse de l’eczéma atopique en déclenchant et en alimentant l’inflammation comprennent probablement une prédisposition génétique, des irritants et des bactéries commensales de la peau. Le grattage de la peau causé par le prurit est aussi un facteur favorisant l’activité inflammatoire des lésions. Bien que les médicaments anti-inflammatoires soient la pierre angulaire du traitement de l’eczéma atopique, les agents conçus pour renforcer la barrière épidermique pourraient aussi avoir un rôle à jouer pour freiner les processus pathologiques.
Diagnostic
Il n’existe aucun biomarqueur ni aucun test qui permette de poser un diagnostic d’eczéma atopique10, celui-ci reposant plutôt sur un ensemble de critères. Les critères diagnostiques publiés par Hanifin et Rajka en 1980 continuent d’être largement invoqués11. Les caractères morphologiques propres à l’eczéma atopique à chaque âge, notamment une dermatite prurigineuse chronique ou récidivante ne s’expliquant que par des antécédents familiaux d’atopie, sont des critères incontournables. Les manifestations qui y sont associées, comme l’érythème, la chéilite, la conjonctivite récidivante et une tendance aux infections cutanées, peuvent être utiles pour étayer le diagnostic d’eczéma. C’est un fait reconnu que les lésions de la face et du cou sont particulièrement répandues chez les nourrissons et les tout jeunes enfants, alors que celles touchant les plis de flexion des membres, les mains et les pieds se voient plus fréquemment chez les adolescents et les adultes12.
L’anamnèse et le tableau clinique sont extrêmement importants pour distinguer l’eczéma atopique des autres types de dermatite ou dermopathies. En l’absence d’antécédents familiaux ou personnels d’atopie, la gale sarcoptique humaine, la dermatite séborrhéique, la névrodermite, le psoriasis vulgaire et le mycosis fongoïde comptent parmi les autres maladies à envisager13. Notons toutefois que ces affections se distinguent de l’eczéma par leur aspect général et qu’elles ne touchent habituellement pas les mêmes régions du corps.
Traitement
Dans leurs lignes directrices respectives, l’American Academy of Dermatology (AAD)2, l’Association des pharmaciens du Canada14, la Société canadienne de l’eczéma15 et un groupe d’organismes européens10 recommandent des traitements non pharmacologiques comme interventions de première intention dans les cas d’eczéma bénin (p. ex., bains servant à éliminer les irritants et les bactéries, suivis de l’application d’hydratants pour préserver l’hydratation de la peau). L’AAD, quant à elle, privilégie les pommades hydrophiles non parfumées et ne contenant pas d’agents de conservation (Fig. 2).
Dans les lignes directrices européennes, les traitements recommandés pour les adultes et les enfants sont énumérés dans des listes séparées, quoique conciliables. Dans les deux cas, les dermocorticoïdes topiques de classe II sont considérés comme des médicaments à utiliser en première intention contre les formes bénignes de la maladie que les interventions non pharmacologiques ne parviennent pas à maîtriser de façon satisfaisante. Les inhibiteurs de la calcineurine topiques et les inhibiteurs de la phosphodiestérase-4 (PDE-4) sont mentionnés comme solutions de rechange. Les enveloppements humides et la photothérapie sont des traitements d’appoints aux dermocorticoïdes ou aux inhibiteurs de la calcineurine topiques pour les patients atteints d’une forme modérée ou grave de la maladie. Chez les enfants gravement atteints, il est recommandé d’utiliser un agent immunosuppresseur administré par voie générale comme la cyclosporine A, le méthotrexate, le mofétilmycophénolate et l’azathioprine. Chez les adultes, une option consiste à administrer du dupilumab, un modulateur de l’activité de l’IL-4, une cytokine, en plus des immunosuppresseurs.
Les lignes directrices de l’AAD abordent les mêmes interventions pharmacologiques et dans le même ordre. Dans ses lignes directrices, la Société canadienne de l’eczéma, en particulier, approuve les mesures que sont l’évitement des vêtements faits de tissus irritants et l’utilisation de savons non allergéniques pour la lessive.
Même si toutes les lignes directrices mentionnent que peu d’essais avec répartition aléatoire ont été menés sur les traitements opposés à l’eczéma et qu’elles reposent essentiellement sur des opinions d’experts, les stratégies thérapeutiques qui y sont proposées sont, pour une large mesure, conciliables entre elles.
Résumé
L’eczéma atopique est une dermatite prurigineuse récidivante très répandue qui est associée à l’atopie. Les lésions de la face et du cou sont particulièrement fréquentes chez les nourrissons et les tout jeunes enfants, alors que celles touchant les plis de flexion des membres, les mains et les pieds se voient plus souvent chez les adolescents et les adultes. Il n’existe aucun test permettant d’obtenir un diagnostic de certitude, mais, dans la plupart des cas, une anamnèse et un examen physique bien menés suffisent pour poser un diagnostic d’eczéma atopique. Parce qu’ils atténuent l’atteinte cutanée causée par le grattage, les produits hydratants constituent une première étape importante pour maîtriser les lésions. Les dermocorticoïdes topiques sont considérés comme des traitements pharmacologiques de première intention. L’eczéma disparaît avant l’adolescence chez la majorité des patients affligés d’un eczéma atopique pendant la petite enfance, mais revient à l’âge adulte.
L’eczéma atopique : le point de vue d’un allergologue
Jason K. Lee, M.D., FRCPC, FAAAAI, FACAAI
Immunologie et allergologie cliniques, Médecine interne
Toronto Allergy and Asthma Clinic
Toronto (Ontario)
1. Quelles sont les caractéristiques physiopathologiques de l’eczéma atopique?
L’eczéma, aussi appelé « dermatite atopique », est une maladie inflammatoire de type II qui s’accompagne souvent d’autres affections d’origine atopique, telles que la rhinite allergique, les polypes nasaux et l’asthme. La cascade de libération des médiateurs inflammatoires sous-jacente est similaire, sans être identique, à celle qui se produit pendant une réaction d’hypersensibilité de type I selon la classification de Gell et de Coombs. Les patients atteints d’eczéma atopique risquent davantage d’être affligés d’une dermatite de contact, qui relève d’une réaction d’hypersensibilité de type IV selon cette même classification. Des allergènes sont habituellement incriminés à tort, alors que ce sont techniquement des antigènes qui déclenchent une réaction amorcée par des lymphocytes T et des cellules effectrices autres que des mastocytes. L’IL-33 (qui se trouvent surtout sur les kératinocytes cutanés et pas ailleurs), l’IL-4 et l’IL-13 jouent un rôle important dans le déclenchement et la perpétuation du cycle prurit-grattage-lichénification. Le diagnostic de la dermatite de contact repose sur des tests épicutanés et non pas sur des tests par piqûre épidermique, puisque cette affection n’est pas placée sous la médiation de l’IgE.
2. Dans quelles circonstances est-il bon d’orienter un patient atteint d’eczéma vers un spécialiste?
Normalement, les symptômes et les antécédents du patient suffisent pour diagnostiquer l’eczéma et les autres maladies atopiques. Le diagnostic différentiel est complexe, mais un examen rigoureux à la recherche d’une topographie et de signes classiques, comme la présence d’une lichénification et d’une xérose dans les zones caractéristiques d’un eczéma atopique, oriente le diagnostic dans la bonne direction. Les agents topiques permettent habituellement de maîtriser un eczéma bénin, mais il vaut mieux consulter un spécialiste si les symptômes ne cèdent pas au traitement de première intention. Les dermatologues et immunologues cliniciens et les allergologues sont généralement habitués à prescrire des médicaments topiques non stéroïdiens comme les inhibiteurs de la calcineurine et les inhibiteurs de la PDE.
3. Si les patients ne répondent pas au traitement de première ou de deuxième intention contre l’eczéma, quel spécialiste vaudrait-il mieux consulter? Un dermatologue? Un allergologue?
Les médecins de première ligne qui ont peu d’expérience dans l’administration d’immunosuppresseurs puissants à action générale, comme la cyclosporine, et les inhibiteurs de la calcineurine à action générale ou topique, pourraient préférer adresser de tels patients à un spécialiste. En outre, ce ne sont pas tous les spécialistes en dermatologie et en allergologie qui connaissent bien les agents biologiques comme le dupilumab et qui ont acquis une solide expérience avec ces produits. Il demeure que les cas graves d’eczéma atopique doivent être orientés vers un spécialiste. Il vaudrait probablement mieux adresser les patients affligés de maladies atopiques concomitantes, notamment celles touchant les voies respiratoires, à un allergologue d’abord.
Diapositives Additionnelles
Références
1. EICHENFIELD, L.F., J. Ahluwalia, A. Waldman, J. Borok, J. Udkoff et M. Boguniewicz. « Current guidelines for the evaluation and management of atopic dermatitis: A comparison of the Joint Task Force Practice Parameter and American Academy of Dermatology guidelines », J Allergy Clin Immunol, vol. 139, 2017, p. S49-S57.
2. EICHENFIELD, L.F., W.L. Tom, S.L. Chamlin, et al. « Guidelines of care for the management of atopic dermatitis: section 1. Diagnosis and assessment of atopic dermatitis », J Am Acad Dermatol, vol. 70, 2014, p. 38-351.
3. SCHNEIDER, L., S. Tilles, P. Lio, et al. « Atopic dermatitis: a practice parameter update 2012 », J Allergy Clin Immunol, vol. 131, 2013, p. 295-9 e1-27.
4. BIEBER, T. « Atopic dermatitis », N Engl J Med, vol. 358, 2008, p. 1 483-1494.
5. BARBEAU, M. et H.L. Bpharm. « Burden of Atopic dermatitis in Canada », Int J Dermatol, vol. 45, 2006, p. 31-36.
6. WILLIAMS, H. et C. Flohr. « How epidemiology has challenged 3 prevailing concepts about atopic dermatitis », J Allergy Clin Immunol, vol. 118, 2006, p. 209-213.
7. ILLI, S., E. von Mutius, S. Lau, et al. « The natural course of atopic dermatitis from birth to age 7 years and the association with asthma », J Allergy Clin Immunol, vol. 113, 2004, p. 925-931.
8. MCALISTER, R.O., S.J. Tofte, J.J. Doyle, A. Jackson et J.M. Hanifin. « Patient and physician perspectives vary on atopic dermatitis », Cutis, vol. 69, 2002, p. 461-466.
9. LOWE, A.J., J.B. Carlin, C.M. Bennett, et al. « Do boys do the atopic march while girls dawdle? », J Allergy Clin Immunol, vol. 121, 2008, p. 1190-1195.
10. WOLLENBERG, A., S. Barbarot, T. Bieber, et al. « Consensus-based European guidelines for treatment of l’eczéma atopique(atopic dermatitis) in adults and children: part I », J Eur Acad Dermatol Venereol, vol. 32, 2018, p. 657-682.
11. ROTHE, M.J. et J.M. Grant-Kels. « Diagnostic criteria for atopic dermatitis », Lancet, vol. 348, 1996, p. 769-770.
12. WILLIAMS, H.C., P.G. Burney, R.J. Hay, et al. « The U.K. Working Party’s Diagnostic Criteria for Atopic Dermatitis. I. Derivation of a minimum set of discriminators for atopic dermatitis », Br J Dermatol, vol. 131, 1994, p. 383-396.
13. KAPUR, S., W. Watson et S. Carr. « Atopic dermatitis », Allergy Asthma Clin Immunol, vol. 14, 2018, p. 52.
14. WONG, I.T.Y., R.T. Tsuyuki, A. Cresswell-Melville, P. Doiron et A.M. Drucker. « Guidelines for the management of atopic dermatitis (eczema) for pharmacists », Can Pharm J (Ott), vol. 150, 2017, p. 285-297.
15. Société canadienne de l’eczéma. 2019. https://eczemahelp.ca/
Consulté le 28 juin 2019.
Chapitre 2 : L’eczéma atopique
L’eczéma atopique, ou dermatite atopique, est une dermatose inflammatoire et prurigineuse aux manifestations variables, mais qui comprennent souvent une combinaison de vésicules, de papules et d’œdème. Les auteurs de lignes directrices ne s’entendent pas sur la présence d’antécédents d’atopie comme condition sine qua non à un diagnostic d’eczéma atopique, mais ils conviennent que le diagnostic repose sur les signes cliniques. L’eczéma apparaît le plus souvent pendant l’enfance, jusqu’à 60 % des cas se déclarant pendant la première année de vie. Environ 10 % des Canadiens sont atteints de dermatite atopique durant leur enfance, mais des taux plus élevés ont été rapportés ailleurs. Jusqu’à 70 % d’entre eux voient cette maladie disparaître spontanément avant leur adolescence. Sans être rare, la dermatite atopique est moins répandue chez les adultes.
L’eczéma atopique, qui est souvent découvert sur le cuir chevelu, le visage ou les plis de flexion des membres, se caractérise par son évolution cyclique et adopte une forme légère ou modérée dans la grande majorité des cas. Toutefois, 10 % des patients sont atteints d’une forme grave de la maladie se manifestant par des poussées fréquentes et par une charge lésionnelle considérable. Les patients atteints d’eczéma atopique dès leur jeune âge sont souvent affligés d’autres affections atopiques, comme l’asthme et la rhinoconjonctivite d’origine allergique. S’il est vrai qu’une infection peut venir compliquer l’eczéma atopique, il demeure que les plus grands problèmes causés par cette maladie sont essentiellement des malaises physiques et une détresse psychologique.
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