Revue d’experts
Les 5 dermopathies les plus courantes en médecine de première ligne
Chapitre 5: La rosacée
Directeur scientifique invité
Simon Nigen, M.D.
Questions et réponses : le point de vue d’un allergologue
Jason K. Lee, M.D., FRCPC, FAAAAI, FACAAI
La rosacée est une maladie inflammatoire érythémateuse chronique qui évolue par poussées suivies d’accalmies et qui touche surtout la peau du visage. Une rougeur généralisée accompagne souvent les papules, les pustules, la télangiectasie et l’hyperplasie caractéristiques de cette affection1. Ces accès d’éruption cutanée rouge et boutonneuse peuvent être passagers, mais l’hypertrophie chronique des glandes sébacées peut endommager la peau de façon persistante, voire irréversible (p. ex., un nez bulbeux). Les lésions évolutives provoquent souvent une sensation de brûlure et des picotements. Lorsque la maladie atteint aussi les yeux, elle peut entraîner des troubles visuels, mais les complications graves sont rares. En fait, la charge morbide découle essentiellement de la gêne provoquée par les lésions faciales, sources de dépression et d’anxiété, et qui ont été associées à une détérioration de la qualité de vie.
Selon les estimations, la prévalence de la rosacée, qui se déclare généralement dans la trentaine ou la quarantaine5 et plus souvent chez les femmes que les hommes5, varie de 2 à 22 % au sein de populations majoritairement à peau claire. Plus de trois millions de Canadiens seraient donc atteints de rosacée si on extrapolait à partir d’une prévalence théorique de 10 %. Les causes sous-jacentes de la rosacée sont floues, mais beaucoup de patients ont établi un lien entre les poussées évolutives de la maladie et des éléments déclencheurs comme le stress, les aliments épicés, les boissons chaudes, les rayons ultraviolets et l’alcool. La prise en charge de la maladie passe donc obligatoirement par l’évitement de ces éléments déclencheurs. Malgré la longue liste de médicaments susceptibles d’avoir un effet positif sur la maladie d’après les rapports empiriques faisant état de leur efficacité, peu d’essais contrôlés ont été réalisés avec des agents pharmacologiques.
Physiopathologie
La National Rosacea Society des É.-U. reconnaît quatre formes de rosacée, soit les formes érythématotélangiectasique, papulopustulaire, phymateuse et oculaire8. Cette classification peut certes être utile pour prédire l’évolution de la maladie et orienter le traitement, mais il reste néanmoins à déterminer si les mécanismes sous-jacents à chacune de ces formes diffèrent et si plus d’une de ces dernières peut s’observer chez une même personne2. La composante inflammatoire sous-jacente que les quatre formes de rosacée ont en commun est le plus souvent imputée à une altération de l’immunité innée9, mais des perturbations de l’immunité acquise ont aussi été mises en cause10. Par ailleurs, des données probantes indiquent qu’une certaine prédisposition génétique à la rosacée serait possible11, mais son poids par rapport aux facteurs environnementaux reste à préciser.
Un parallèle a été établi entre la rosacée et d’autres maladies inflammatoires notamment les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI), ce qui laisse entrevoir un lien avec d’autres types de dysfonctionnement immunologique12. Elle est également plus répandue chez les patients atteints de troubles neurologiques, dont la migraine et le syndrome de douleur régionale complexe13. Le lien pressenti serait une régulation positive des métalloprotéases matricielles (MMP), qui a été objectivée à la fois dans des cas de rosacée et de troubles neurologiques14. Des chercheurs ont fait état d’une colonisation plus intense de la peau du visage par un acarien (Demodex folliculorum), qui à elle seule ou jumelée à une prédisposition génétique pourrait provoquer une réaction immunitaire se soldant par la rosacée. Une fois que la fonction immunitaire est perturbée, certains facteurs tels que la chaleur et l’exposition au soleil peuvent déclencher la maladie en agissant sur le microenvironnement cutané15. La desquamation et l’hypersensibilité de la peau pourraient être imputables à la déshydratation causée par l’altération de la barrière épidermique consécutive au grattage16.
Diagnostic
Le diagnostic de la rosacée repose uniquement sur l’anamnèse et sur les manifestations cliniques de cette affection7. Même si une biopsie de la peau peut donner des réponses lorsque les signes cliniques sont équivoques, les caractéristiques histopathologiques de cette maladie ne lui appartiennent pas en propre et peuvent donc ressembler à celles d’autres dermopathies inflammatoires, y compris l’acné vulgaire1. Lorsque le centre du visage est affligé d’éruptions cutanées épisodiques, de papules, de pustules et de télangiectasie le tout accompagné d’une rougeur passagère, il y a fort à parier qu’il s’agit d’une rosacée en l’absence de toute autre explication possible (Fig. 1). Notons que les yeux et le cou peuvent parfois être atteints. Les autres manifestations de la maladie comme une sensation de brûlure et de picotement, ainsi qu’une hypertrophie des glandes sébacées pointent aussi vers un diagnostic de rosacée.
Les affections qui risquent le plus d’être confondues avec la rosacée sont l’acné vulgaire, toutes les formes de dermatite touchant le visage, notamment la dermatite séborrhéique et la dermite périorale, de même que les éruptions acnéiformes provoquées par des stéroïdes17. Moins répandues, quoique potentiellement plus graves, les autres maladies prises en compte dans le diagnostic différentiel sont le lupus érythémateux, la sarcoïdose, les réactions médicamenteuses et la dermatomyosite. Il arrive fréquemment que des antécédents familiaux d’éruption cutanée soient reliés aux éléments déclencheurs souvent incriminés dans les cas de rosacée comme l’exposition aux rayons du soleil et l’alcool. Il se peut que le diagnostic soit plus facile à poser quand les symptômes durent depuis longtemps, puisque les altérations phymateuses seront alors plus apparentes et l’érythème plus étendu, résultats d’une rosacée mal maîtrisée.
Traitement
L’évitement des éléments déclencheurs est logiquement vu comme le traitement de première intention de la rosacée. D’après les lignes directrices publiées par un groupe d’experts composé de dermatologues canadiens, les traitements pharmacologiques devraient être axés sur les symptômes individuels. Il n’existe aucun médicament pour corriger les dysfonctionnements physiopathologiques sous-jacents de cette maladie. Quant au traitement de la plupart des symptômes, les recommandations des lignes directrices canadiennes sont formulées en fonction d’une atteinte légère ou allant de modérée à grave. Par exemple, les options thérapeutiques recommandées contre l’érythème léger sont la brimonidine, le métronidazole et l’acide azélaïque, tous en applications locales. La réponse au traitement doit être évaluée au bout de huit semaines. Dans les cas d’érythème grave, il est possible d’adjoindre des traitements à lumière polychromatique pulsée (Intense Pulsed Light [IPL]) ou de la doxycycline à prise orale aux agents utilisés en première intention, mais il faudra alors faire appel aux soins d’un spécialiste. Pour ce qui est des papules et des pustules, les options thérapeutiques conseillées pour les atteintes légères sont l’ivermectine, le métronidazole ou l’acide azélaïque en applications locales. Dans les cas modérés ou graves, on pourra employer de la doxycycline ou de la tétracycline à prise orale si les agents topiques n’apportent pas de soulagement satisfaisant (Fig. 2).
Pour ce qui est des altérations phymateuses, les applications locales de rétinoïdes ou les antibiothérapies pour voie orale (doxycycline ou tétracycline) sont les traitements recommandés en première intention dans les cas légers. Il sera possible de les combiner si aucune maîtrise satisfaisante n’est obtenue au bout de huit semaines au moins. L’isotrétinoïne est une autre option en deuxième intention. Certains cas graves relèveront toutefois de la chirurgie. Les cas d’atteinte oculaire, qui exigent habituellement des soins palpébraux alliés à des larmes artificielles, doivent être adressés à un spécialiste.
Compte tenu de la chronicité de la rosacée, il faut envisager d’opter pour un traitement d’entretien et réévaluer les patients périodiquement pour ajuster leur traitement. Lorsqu’ils sont utilisés dans le cadre de traitements d’entretien, plusieurs des agents appliqués localement pour traiter les cas aigus, dont le métronidazole18, l’ivermectine19 et la brimonidine20, ont été associés à un risque moins élevé de rechute.
Résumé
La rosacée est une dermopathie inflammatoire chronique ayant une prédilection pour les joues, le nez, le menton et le front. Son évolution ponctuée de rémissions et de poussées qui se manifestent par de l’érythème, des papules, des pustules et une télangiectasie est souvent reliée à des éléments déclencheurs tels qu’une exposition aux rayons UV, des aliments épicés, le stress psychologique et la consommation d’alcool. Il va de soi que l’évitement de ces éléments déclencheurs est la première mesure à prendre pour raréfier et atténuer les poussées. Les mêmes médicaments topiques qui sont employés pour maîtriser les symptômes aigus peuvent servir au traitement d’entretien afin de réduire le risque de récidive. Dans les cas graves ou d’atteinte oculaire, les soins doivent être confiés à un spécialiste. Compte tenu du risque de dommages cutanés irréversibles causés par la persistance de l’érythème et des altérations phymateuses, il convient de poser un diagnostic rapidement et d’instaurer un traitement musclé pour maîtriser les symptômes. Bien que la rosacée s’accompagne rarement de complications graves, il faut savoir que l’atteinte faciale caractéristique de cette maladie fait vivre un stress psychologique considérable à beaucoup de patients et nuit à leur qualité de vie.
La rosacée : le point de vue d’un allergologue
Jason K. Lee, M.D., FRCPC, FAAAAI, FACAAI
Immunologie et allergologie cliniques, Médecine interne
Toronto Allergy and Asthma Clinic
Toronto (Ontario)
1. La rosacée doit-elle être vue comme une maladie allergique ou dermatologique?
La rosacée est une maladie inflammatoire dont le lien avec l’hypersensibilité est incertain. Bien que la colonisation de la peau par des acariens soit vue comme un facteur causal possible, la rosacée n’a pas de lien étroit avec les voies inflammatoires qui subissent habituellement une régulation positive pendant une réaction atopique. C’est pourquoi elle est généralement considérée comme une dermatopathie. Il y a toutefois un certain lien entre un dérèglement immunitaire et un déséquilibre du microbiote causé par une perturbation de la répartition des micro-organismes commensaux tels que Malassezia furfur, mais ces phénomènes ne relèvent habituellement pas d’une réaction inflammatoire de type II.
2. Dans quelles circonstances est-il bon d’orienter un patient atteint de rosacée vers un spécialiste?
Comme les mécanismes physiopathologiques sous-jacents de la rosacée ne sont pas totalement élucidés, les traitements actuels reposent surtout sur l’évitement des éléments déclencheurs connus et l’administration de médicaments topiques pour en atténuer les manifestations cutanées. Les altérations phymateuses marquées et persistantes risquent de devenir permanentes. Le cas des patients qui en sont affligés et de ceux aux prises avec une atteinte oculaire relève de soins spécialisés. Bien que certains aliments, comme le chocolat, et l’alcool soient connus pour provoquer des poussées évolutives de rosacée, ces dernières ne sont pas le résultat d’une réaction à médiation IgE et ne sont donc pas des manifestations d’allergie. Les patients atteints de rosacée peuvent être victimes d’accès de dermatite de contact comme n’importe qui d’autre, ce qui peut parfois obscurcir le diagnostic.
3. Si les patients ne répondent pas au traitement de première ou de deuxième intention contre la rosacée, quel spécialiste vaudrait-il mieux consulter? Un dermatologue? Un allergologue?
Il faut savoir que les dermatologues ont plus l’habitude des traitements de troisième intention, tels que les rétinoïdes et la photothérapie, que les autres spécialistes. Les cas de rosacée réfractaire aux traitements de première et de deuxième intention, surtout ceux présentant des altérations phymateuses évolutives, devraient donc leur être adressés. Par ailleurs, même si des acariens du genre Demodex comptent parmi les éléments déclencheurs soupçonnés, ce qui laisse entrevoir un mécanisme physiopathologique sous-jacent inflammatoire de type allergique, les dermatologues sont généralement consultés avant les allergologues pour les cas difficiles.
Diapositives Additionnelles
Références
1. TWO, A.M., W. Wu, R.L. Gallo et T.R. Hata. « Rosacea: part I. Introduction, categorization, histology, pathogenesis, and risk factors », J Am Acad Dermatol, vol. 72, 2015, p. 749-758; jeu questionnaire 59-60.
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3. EGEBERG, A., P.R. Hansen, G.H. Gislason et J.P. Thyssen. « Patients with Rosacea Have Increased Risk of Depression and Anxiety Disorders: A Danish Nationwide Cohort Study », Dermatology, vol. 232, 2016, p. 208-213.
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20. MOORE, A., S. Kempers, G. Murakawa, et al. « Long-term safety and efficacy of once-daily topical brimonidine tartrate gel 0.5% for the treatment of moderate to severe facial erythema of rosacea: results of a 1-year open-label study », J Drugs Dermatol, vol. 13, 2014, p. 56-61.
Chapitre 5: La rosacée
La rosacée est une maladie inflammatoire érythémateuse chronique qui évolue par poussées suivies d’accalmies et qui touche surtout la peau du visage. Une rougeur généralisée accompagne souvent les papules, les pustules, la télangiectasie et l’hyperplasie caractéristiques de cette affection1. Ces accès d’éruption cutanée rouge et boutonneuse peuvent être passagers, mais l’hypertrophie chronique des glandes sébacées peut endommager la peau de façon persistante, voire irréversible (p. ex., un nez bulbeux). Les lésions évolutives provoquent souvent une sensation de brûlure et des picotements. Lorsque la maladie atteint aussi les yeux, elle peut entraîner des troubles visuels, mais les complications graves sont rares. En fait, la charge morbide découle essentiellement de la gêne provoquée par les lésions faciales, sources de dépression et d’anxiété, et qui ont été associées à une détérioration de la qualité de vie.
Selon les estimations, la prévalence de la rosacée, qui se déclare généralement dans la trentaine ou la quarantaine5 et plus souvent chez les femmes que les hommes5, varie de 2 à 22 % au sein de populations majoritairement à peau claire. Plus de trois millions de Canadiens seraient donc atteints de rosacée si on extrapolait à partir d’une prévalence théorique de 10 %. Les causes sous-jacentes de la rosacée sont floues, mais beaucoup de patients ont établi un lien entre les poussées évolutives de la maladie et des éléments déclencheurs comme le stress, les aliments épicés, les boissons chaudes, les rayons ultraviolets et l’alcool. La prise en charge de la maladie passe donc obligatoirement par l’évitement de ces éléments déclencheurs. Malgré la longue liste de médicaments susceptibles d’avoir un effet positif sur la maladie d’après les rapports empiriques faisant état de leur efficacité, peu d’essais contrôlés ont été réalisés avec des agents pharmacologiques.
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