Revue d’experts
Prise en charge de la baisse du désir sexuel chez la femme
Chapitre 1 : Baisse du désir sexuel chez la femme
Dre Marla Shapiro, C.M.
MDCM, CCMF, M. Sc. S., FRCPC, FCMF, NCMP
Professeure, Médecine familiale et communautaire
Université de Toronto, Ontario
Atlanta – Selon les estimations, de 7 à 10 % des femmes du monde entier connaîtraient une baisse du désir sexuel. Or on assiste depuis quelque temps à une évolution de la réflexion portant sur la définition, la classification et la nomenclature de ce trouble. À preuve, la distinction qui est maintenant faite entre la baisse du désir sexuel et les autres troubles liés au dysfonctionnement sexuel chez la femme, tels que le trouble de l’excitation sexuelle.
Introduction
Le désir et l’excitation sexuels sont des phénomènes complexes dans lesquels interviennent des facteurs biologiques, psychologiques, socioculturels et interpersonnels (Fig. 1)1. C’est ce qui explique la variabilité des diverses estimations qui ont été faites de la prévalence de la baisse de désir sexuel. Les responsables des premières recherches épidémiologiques n’ont pas vraiment vérifié si la baisse de désir sexuel dont se plaignaient les patientes provoquait chez elles une certaine souffrance psychologique. Les chiffres recueillis dernièrement sur la prévalence de ce trouble confirment toutefois qu’il s’agit bel et bien d’un de ses symptômes majeurs. La baisse de désir sexuel, qui peut avoir plusieurs appellations différentes, touche environ 10 % des femmes2. La définition de la baisse du désir a évolué avec les mentalités. L’International Society for the Study of Women’s Sexual Health (ISSWSH) reconnaît maintenant qu’elle se distingue des autres dysfonctionnements sexuels chez la femme tels que le trouble de l’excitation sexuelle.
Classifications de la baisse de désir sexuel différentes de celle de l’ISSWSH
Le système de classification de l’American Psychiatric Association tel qu’il était présenté dans la 4e édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-IV), fait état de problèmes sexuels généraux déclinés en stades précis, tels que le désir ou l’excitation génitale, de même qu’une souffrance psychologique qui n’est pas causée par les effets d’une substance ou d’une maladie. Par exemple, une baisse de désir sexuel pathologique ne serait pas le diagnostic établi chez une femme en post-partum qui se plaint d’une diminution de sa libido, celui-ci étant plutôt attribué à son accouchement récent3. Les affections qui ont été intégrées dans cette nomenclature sont la baisse du désir sexuel et le trouble de l’excitation sexuelle chez la femme. Dans l’édition suivante, soit le DSM-V, l’intérêt et l’excitation sexuels accompagnés de souffrance psychologique ont été réunis sous une même rubrique de sorte que la baisse de désir sexuel et le trouble de l’excitation sexuelle sont désormais appelés trouble de l’intérêt pour l’activité sexuelle ou de l’excitation sexuelle chez la femme. Le DSM-V fournit également une liste de symptômes que les patientes doivent présenter 70 % du temps pour qu’un tel diagnostic soit posé. Selon la Dre Anita Clayton, professeure et chef du Service de psychiatrie et de sciences neurocomportementales de l’Hôpital David C. Wilson, du Système de santé de l’Université de Virginie, à Charlottesville, en Virginie, ces critères font abstraction des cas légers ou modérés de baisse de désir sexuel. En matière de diagnostic, « il est moins utile, a affirmé la Dre Clayton. Les critères d’intensité perdent tout intérêt, puisque selon cette classification, toutes les patientes seraient atteintes d’une forme grave de baisse de désir sexuel. Le diagnostic est trop restrictif. » Les lacunes du DSM-V ont incité l’ISSWSH à mettre sur pied un groupe d’experts auquel a été confié un double mandat : 1) créer un système de classification à visée diagnostique qui ferait la distinction entre les variantes sexuelles normales et le dysfonctionnement sexuel; et 2) élaborer une nomenclature sur les troubles du désir, de l’excitation et de l’orgasme. La nouvelle nomenclature de l’International Classification of Diseases (ICD)-11, dont les codes sont utilisés par les cliniciens étatsuniens aux fins de facturation, constitue une amélioration en ce domaine, puisqu’elle différencie les troubles sexuels des maladies mentales et des troubles obstétriques et gynécologiques. « Les troubles sexuels sont classés dans une section différente de l’ICD-11 »a déclaré la Dre Clayton. Notons que contrairement au DSM-V, l’ICD-11 précise que la baisse de désir sexuel peut toucher aussi bien les hommes que les femmes (Fig. 2)4.
Résultats des travaux du groupe d’experts de l’ISSWSH
Comme nous l’avons mentionné précédemment, l’ISSWSH a mis sur pied un groupe d’experts chargés, entre autres, d’examiner les nomenclatures existantes sur la baisse du désir sexuel et d’en créer une nouvelle. « La nomenclature précédente a été établie par le DSM. Elle était donc destinée aux spécialistes en santé mentale. Nous avons voulu en créer une qui fonctionnerait pour nous tous », a affirmé Sue Goldstein, CCRC, AASECT-CSC, IF, du programme de médecine sexuelle de l’Hôpital Alvarado, de San Diego, en Californie.
« La nomenclature précédente a été établie par le DSM. Elle était donc destinée aux spécialistes en santé mentale. Nous avons voulu en créer une qui fonctionnerait pour nous tous. »
La Dre Sharon Parish, professeure de médecine et de psychiatrie clinique, à l’École de médecine Weill Cornell, à New York, a mentionné la quatrième consultation internationale en médecine sexuelle tenue en 2015, d’où a émergé une déclaration de consensus fournissant des définitions améliorées des dysfonctionnements sexuels chez l’homme et chez la femme. La baisse du désir sexuel y est définie comme suit : diminution ou absence persistante ou récurrente de pensées sexuelles ou érotiques, ou de fantasmes et d’intérêt pour l’activité sexuelle5. Dans sa nomenclature, l’ISSWSH fait nettement une distinction entre la baisse du désir sexuel et le trouble de l’excitation sexuelle. La première se caractériserait par un manque de désir et d’intérêt pour le sexe jumelé à une souffrance psychologique, tandis que le second se manifesterait par une altération de l’excitation génitale alliée à une souffrance psychologique6. Contrairement à la baisse de désir sexuel, le trouble de l’excitation sexuelle chez la femme traduit une incapacité à ressentir une excitation génitale et à la maintenir6. S’il y a une chose qui distingue la baisse du désir sexuel et le trouble de l’excitation sexuelle, c’est bien les moyens pris pour les diagnostiquer. La baisse du désir sexuel est diagnostiquée au terme d’un entretien et à l’aide d’instruments tels que le questionnaire DSDS (Decreased Sexual Desire Screener), qui permet de dépister une baisse du désir sexuel généralisée et acquise HSDD chez la femme (Fig. 3)7. Le trouble de l’excitation sexuelle est quant à lui diagnostiqué au terme d’un examen physique, car aucun questionnaire n’a encore été validé à cette fin, a noté le Dr Andrew Goldstein, Directeur des Centres des troubles vulvovaginaux de Washington, D.C. et de New York, NY, et professeur de clinique à l’École de médecine de l’Université George Washington, à Washington, D. C. La Dre Parish a ajouté sa voix à celle de la Dre Clayton pour dire qu’une des améliorations apportées par l’ICD-11 est son chapitre portant expressément sur la santé sexuelle et où la baisse du désir sexuel et le trouble de l’excitation sont considérés comme des dysfonctionnements distincts. « La séparation de ces deux dysfonctionnements reposait sur le même principe clinique et des données biologiques probantes semblables à celles utilisées pour établir la nomenclature de l’ICSM et de l’ISSWSH », a affirmé la Dre Parish. Elle a ajouté que le chapitre de l’ICD-11 sur la santé sexuelle précise que la baisse de désir sexuel peut toucher les hommes et les femmes4.
Diagnostiquer la baisse de désir sexuel d’après la nomenclature de l’ISSWSH
L’ISSWSH recommande que les cliniciens posent des questions ouvertes aux patientes pour poser un diagnostic de baisse du désir sexuel. La Dre Clayton a renchéri en ajoutant que les cliniciens n’ont pas besoin de recueillir des détails intimes de la vie sexuelle des patientes pendant cet entretien. La méthode PLISSIT (Permission, Limited Information, Specific Suggestions, Intensive Therapy) peut être utilisée pour répertorier les préoccupations de nature sexuelle des patientes et amorcer une prise en charge non pharmacologique8. En substance, c’est le tableau clinique qui permet de reconnaître la baisse du désir sexuel, puisqu’il n’existe aucune valeur mesurable en laboratoire qui pourrait orienter le diagnostic vers ce problème en particulier. Les cliniciens doivent impérativement faire une anamnèse sexologique et reproductive des patientes, et déterminer si elles ont subi un traumatisme sexuel qui pourrait expliquer l’émoussement du désir. Il est également essentiel de vérifier si la baisse du désir ne se produit qu’avec le partenaire actuel ou si elle est se répète avec tous les partenaires éventuels. En outre, le facteur temps joue un rôle dans le désir sexuel. La diminution du désir peut être une question de contexte et le résultat de facteurs de stress au quotidien. À preuve, les vacances sont souvent une période où le désir augmente, comme l’a fait remarquer la Dre Clayton6. La durée des symptômes a une place plus importante aujourd’hui dans l’établissement du diagnostic d’une baisse du désir sexuel. « Les données pointent vers une durée de trois mois ou plus », a précisé la Dre Clayton. La Dre Clayton croit que l’importance accordée au sexe par la patiente est également un facteur utile pour déceler la présence d’une baisse de désir sexuel. « Vous devez savoir quelle priorité le sexe a dans leur vie, a-t-elle ajouté. Il faut découvrir où se situait le sexe dans leurs priorités quand elles avaient une vie sexuelle satisfaisante et où il se situe maintenant qu’elle ne l’est plus ». L’absence de toute envie de faire des avances à son partenaire pour avoir une relation sexuelle ainsi que certains comportements comme éviter régulièrement d’aller au lit en même temps que son partenaire ou rester debout jusqu’à tard en soirée pour travailler sont des exemples de comportements qui cadreraient avec une baisse de désir sexuel, selon la Dre Clayton. Par ailleurs, il se peut qu’une femme s’abstienne d’embrasser son partenaire par crainte qu’il y voie une invitation à des rapports sexuels. La Dre Parish a tenu à ajouter que le désir sexuel n’est pas expressément lié à un événement et qu’il faut en tenir compte dans le cadre du diagnostic et de la prise en charge de la baisse du désir sexuel6.
Apport de la patiente dans le processus diagnostique de la baisse de désir sexuel
D’après le Dr James G. Pfaus, professeur de psychologie, à l’Université Concordia, de Montréal, au Québec, une caractéristique importante de la forme acquise de la baisse de désir sexuel, c’est que la femme a déjà connu une période de sa vie où elle ressentait durablement du désir et qu’elle est consciente que ce n’est plus vrai.
« Laissez la patiente qualifier elle-même sa baisse de désir sexuel de légère, modérée ou grave, selon le cas. Donnez-lui l’occasion de participer à l’établissement du diagnostic. »
« Par définition, ces femmes ont connu un désir normal et sain, et se désolent de l’avoir perdu », a affirmé le Dr Pfaus. Laissez la patiente qualifier elle-même sa baisse de désir sexuel de légère, modérée ou grave, selon le cas. Donnez-lui l’occasion de participer à l’établissement du diagnostic6. » Il faut tenir compte des motivations à l’origine du désir sexuel, que celui-ci exprime la volonté de la femme de s’investir dans une activité sexuelle visant à lui procurer un plaisir physique, une intimité émotionnelle, etc. Le désir peut être associé à une récompense et peut s’estomper si cette récompense diminue au fil du temps. Il faut tenir compte des motivations à l’origine du désir sexuel, que celui-ci exprime la volonté de la femme de s’investir dans une activité sexuelle visant à lui procurer un plaisir physique, une intimité émotionnelle, etc. Le désir peut être associé à une récompense et peut s’estomper si cette récompense diminue au fil du temps.
Écarter les autres causes de la faiblesse du désir sexuel
Citant les données issues d’une méta-analyse, la Dre Clayton a souligné le lien bidirectionnel qui existe entre la dépression et le dysfonctionnement sexuel, la première augmentant grandement le risque d’apparition du second et vice versa9. Il est essentiel de procéder à l’anamnèse sexologique détaillée de la patiente au moment de l’évaluer de façon globale, puisque son passé sexuel peut avoir une influence sur son intérêt pour le sexe. De nombreux autres facteurs peuvent favoriser une diminution du désir accompagnée de souffrance psychologique, y compris des maladies physiologiques concomitantes telles qu’une affection de la thyroïde et l’incontinence urinaire, des maladies psychiatriques comme l’anxiété et la dépression, de même que la prise de médicaments ou la consommation d’alcool et de drogues10. La Dre Clayton a expliqué qu’un diagnostic de baisse du désir sexuel ne serait pas posé chez les femmes qui souffrent de troubles liés à des douleurs, la diminution du désir ou l’évitement des rapports sexuels étant la conséquence de la douleur éprouvée pendant ces relations. L’établissement d’un diagnostic de baisse du désir sexuel chez une femme non ménopausée consiste, entre autres, à écarter la possibilité d’un dysfonctionnement sexuel chez le partenaire. Certaines pourraient en effet rapporter une baisse de désir sexuel pour compenser un dysfonctionnement sexuel de leur partenaire, notamment de nature érectile. « La femme qui s’accommode d’une pareille situation en ressentira les répercussions, a expliqué la Dre Clayton. Il se peut qu’elle prenne toute la faute sur ses épaules. »
Conclusion
Selon le groupe d’experts de l’ISSWSH, la reconnaissance récente de la baisse du désir sexuel et du trouble de l’excitation sexuelle en tant qu’entités cliniques différentes, les deux étant considérées comme des dysfonctionnements sexuels féminins, répond au besoin exprimé par divers milieux de la santé, dont les cliniciens, les chercheurs et les responsables de la réglementation, de disposer de définitions concrètes. « La définition du trouble de l’excitation sexuelle écarte complètement la question fondamentale qu’est l’excitation subjective qui était si controversée et alambiquée dans les définitions antérieures. Ce faisant, les nouvelles définitions du trouble de l’excitation sexuelle et de la baisse du désir sexuel y gagnent en force », a déclaré le Dr Goldstein.
Références
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- DEJUDICIBUS, M. A. et M. P. McCabe. Psychological factors and the sexuality of pregnant and postpartum women. The Journal of Sex Research, vol. 39, no2, mai 2002, p. 94-103.
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- PARISH, S. J., A. T. Goldstein, S. W. Goldstein, et al. Toward a More Evidence-Based Nosology and Nomenclature for Female Sexual Dysfunctions-Part II. J Sex Med, vol. 12, no12, décembre 2016, p. 1888-1906.
- CLAYTON, A. H., E. R. Goldfischer, I. Goldstein, L. Derogatis, D. J. Lewis-D’Agostino et R. Pyke. Validation of the decreased sexual desire screener (DSDS) J Sex Med, vol. 6, no3, mars 2009, p. 730-738.
- FRANK, J. E., P. Mistretta et J. Will. Diagnosis and treatment of female sexual dysfunction. Am Fam Physician, vol. 77, no5, mars 2008, p. 635-642.
Chapitre 1 : Baisse du désir sexuel chez la femme
Atlanta – Selon les estimations, de 7 à 10 % des femmes du monde entier connaîtraient une baisse du désir sexuel. Or on assiste depuis quelque temps à une évolution de la réflexion portant sur la définition, la classification et la nomenclature de ce trouble. À preuve, la distinction qui est maintenant faite entre la baisse du désir sexuel et les autres troubles liés au dysfonctionnement sexuel chez la femme, tels que le trouble de l’excitation sexuelle.
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