Revue d’experts
Gastroentérologie : Revue d'expert et commentaires tirés de la littérature
Les chélateurs des acides biliaires : pour enclencher un mécanisme unique
Pierre Paré, M.D., FRCPC, FACG
CHAUQ-Hôpital du Saint Sacrement
Québec, Québec
Les chélateurs des acides biliaires ont d’abord été conçus pour le traitement de l’hypercholestérolémie, mais il est révélateur de constater que leur activité est confinée au tube digestif. Il est vrai qu’en se liant aux acides biliaires dans l’intestin, ils inhibent un mécanisme essentiel du transport du cholestérol, mais les utilisations de ces agents dans le domaine gastro-intestinal sont également importantes. Au cours de la dernière décennie, pendant que les statines prenaient la tête des traitements opposés aux taux élevés de cholestérol des lipoprotéines de basse densité (LDL), leur utilisation en gastro-entérologie a pris de plus en plus d’importance. Bien que les médicaments appartenant à cette classe pharmacologique soient offerts depuis 50 ans, leurs nombreuses applications cliniques méritent qu’on s’y attarde de nouveau. Les effets cardioprotecteurs des chélateurs des acides biliaires ont récemment provoqué un regain de popularité pour ces agents à cause de l’intolérabilité des statines utilisées à très fortes doses, mais ils peuvent aussi être employés dans le traitement de plusieurs troubles gastro-intestinaux.
Histoire et mode d’action des chélateurs des acides biliaires
L’activité des acides biliaires, qui est régie par le foie, est importante pour plusieurs processus aussi bien physiologiques que pathologiques. Les acides biliaires, des sous-produits de la synthèse du cholestérol dans le foie, exercent une action cytotoxique, mais leur liaison aux acides aminés les empêche normalement de traverser les membranes cellulaires. Les acides biliaires jouent un rôle majeur dans l’homéostasie du cholestérol en faisant passer ce dernier des hépatocytes aux intestins où il est solubilisé, puis excrété dans les fèces, en ramenant les lipides d’origine alimentaire des intestins vers le foie et en faisant office de signal de rétroaction négative indiquant au foie de produire plus de cholestérol. (Fig. 1)
Les chélateurs des acides biliaires sont efficaces pour freiner la traduction clinique des processus pathologiques imputables aux acides biliaires.
Cela dit, l’activité des acides biliaires ne se cantonne pas à la régulation du cholestérol. Ils favorisent également l’absorption de plusieurs éléments essentiels issus de l’alimentation tels que le fer et le calcium1, ils interviennent dans la régulation de la motilité2, ils agissent sur l’absorption de l’eau et des électrolytes dans l’intestin3, ils aident à équilibrer la biotransformation du glucose4 et ils exercent des effets bactériostatiques en régularisant la motilité et en inhibant l’adhésion des bactéries à la muqueuse intestinale5. Chez les patients dont le pool des acides biliaires est insuffisant, par exemple ceux présentant une malabsorption par résection intestinale étendue, il faut parfois user de substituts pour normaliser l’absorption des lipides et des graisses. Les chélateurs des acides biliaires sont efficaces pour freiner la traduction clinique des processus pathologiques imputables aux acides biliaires. Au cours des années 1950, les chercheurs ont pensé utiliser les chélateurs des acides biliaires pour abaisser la lipidémie chez les humains à la lumière d’une série d’observations faites chez des animaux. Parmi les chélateurs des acides biliaires actuellement sur le marché, on trouve le colésévélam, le colestipol et la cholestyramine. Même si ces agents ont une structure chimique différente, ils se lient tous aux acides biliaires primaires de façon à former un complexe insoluble qui empêche leur réabsorption et entraîne leur excrétion dans les fèces. En outre, la diminution du pool des acides biliaires incite le foie à en synthétiser davantage, d’où la réduction du capital cholestérolique intracellulaire, ce qui aide à maintenir une cholestérolémie basse. Constatant les effets favorables des chélateurs des acides biliaires, les cliniciens ont commencé à les employer à plusieurs autres fins cliniques, notamment dans le traitement de la diarrhée de causes diverses.
La toute première indication : la prévention des maladies cardiovasculaires
Les chélateurs des acides biliaires abaissent le taux de cholestérol de 15 à 30 % en agissant surtout sur le cholestérol des LDL6. Une série d’essais a permis de confirmer qu’une baisse de cette ampleur est efficace dans le traitement des maladies cardiovasculaires. Au cours de l’essai comparatif mené avec placebo intitulé Lipid Research Clinics Coronary PrimaryPrevention Trial (LRC-CPPT), par exemple, les chercheurs ont pu établir un lien entre la baisse de 12 % du taux de cholestérol des LDL qu’ils ont observée et une réduction de 19 % des incidents coronariens (Fig. 2)7. Un essai faisant appel à l’angiographie a révélé que la baisse du taux de cholestérol des LDL ralentit l’évolution de l’athérosclérose8. D’ailleurs, le National Cholesterol Education Panel (NCEP) recommande l’utilisation des chélateurs des acides biliaires pour lutter contre les maladies cardiovasculaires depuis 1984. Les chélateurs des acides biliaires sont généralement bien tolérés parce qu’ils exercent leurs effets pharmacologiques dans le tube digestif presque exclusivement et qu’ils sont peu absorbés par voie générale. Leurs effets indésirables sont le plus souvent de nature digestive (par ex., la constipation), mais ils se manifestent seulement chez une minorité de patients traités au moyen des doses d’usage courant. C’est surtout l’innocuité de ces agents, dont l’utilisation est approuvée chez les enfants, qui explique qu’ils se soient hissés au rang d’agents employés en première intention dans le traitement de l’hypercholestérolémie. Depuis leur arrivée sur le marché, les statines ont relégué les chélateurs des acides biliaires au second rang, mais les cliniciens ont continué de les utiliser comme adjuvants chez les patients qui ne parvenaient pas à atteindre les valeurs visées dans le cadre de leur traitement ou comme solution de rechange chez les patients qui ne supportaient pas les statines. Il peut y avoir une certaine synergie entre les effets réducteurs exercés par les chélateurs des acides biliaires sur le cholestérol des LDL et ceux d’autres agents hypolipémiants. L’intolérance aux statines étant de plus en plus répandue, les regards se tournent de nouveau vers les autres agents hypolipémiants tels que les chélateurs des acides biliaires. On sait depuis les tout premiers essais réalisés avec les statines qu’elles provoquent des effets indésirables tels que la myalgie, la myosite et la rhabdomyolyse. Or ces effets, tout comme les anomalies des enzymes hépatiques, se voient plus souvent aujourd’hui parce que les doses prescrites maintenant sont beaucoup plus élevées qu’au tout début. De grands pans de la population exposée aux maladies cardiovasculaires se sont vu imposer des valeurs cibles beaucoup plus rigoureuses pour les taux de cholestérol des LDL et c’est ce qui a incité les praticiens à avoir recours à des doses élevées de statines. L’intolérance aux statines, qui était auparavant considérée comme rare, atteindrait maintenant jusqu’à 20 % des patients selon des rapports récents9. Les chélateurs des acides biliaires demeurent une des meilleures options pour maîtriser la lipidémie des patients qui sont intolérants aux statines ou qui ne parviennent pas à atteindre les valeurs fixées pour le cholestérol des LDL en ayant recours aux statines seulement. Les chélateurs des acides biliaires – première classe de médicaments ayant fait preuve d’un effet protecteur contre les maladies cardiovasculaires grâce à son effet réducteur sur la lipidémie – sont réputés sûrs et efficaces. Les chélateurs des acides biliaires étaient habituellement offerts sous forme de poudres à mélanger aux aliments ou à des boissons. Or les comprimés qui ont fait leur apparition récemment sur le marché sont plus pratiques, réduisent les problèmes liés au goût et sont plus simples à utiliser dans le cadre de traitements chroniques visant à atténuer le risque de maladie cardiovasculaire. Comme les chélateurs des acides biliaires ont également été reliés à une amélioration modeste, quoique significative sur le plan clinique, de l’équilibre glycémique, ces agents peuvent se révéler particulièrement utiles dans le traitement de l’hypercholestérolémie chez les patients diabétiques. Au cours d’une étude menée à double insu ayant porté sur l’utilisation du colésévélam chez des patients atteints de diabète de type 2 dont l’équilibre glycémique était mal maîtrisé avec le traitement qu’ils suivaient alors, les chercheurs ont constaté que l’ajout d’un chélateur des acides biliaires avait permis d’abaisser significativement le taux d’HbA1c, mais ignorent comment cela a pu se produire10. Toutefois, une autre étude réalisée à double insu sur l’utilisation du colésévélam en association avec de la metformine a aussi permis de documenter des réductions significatives sur le plan clinique de la lipidémie sérique et de la glycémie. Les chercheurs en sont venus à la conclusion que cette association pourrait être intéressante comme traitement de première intention chez les patients présentant les deux anomalies11. Une analyse des résultats regroupés de trois essais comparatifs menés avec placebo a révélé que le colésévélam avait entraîné les réductions suivantes : cholestérol des LDL : 16,5 % (p < 0,001); Apo B : 7,4 % (p < 0,001); HbA1c : 0,5 % (p < 0,001); glycémie à jeun : 10 % (p < 0,001) 12. (Fig. 3)
Les maladies digestives : un effet médicamenteux utile
Le rôle le plus important que les chélateurs des acides biliaires ont été appelés à jouer dans le traitement des troubles gastro-intestinaux tire son origine de leur aptitude à lutter contre la diarrhée imputable à la malabsorption des acides biliaires. Cette dernière peut avoir de nombreuses causes, dont les suivantes : maladie de Crohn, cholécystectomie, résection iléale, vagotomie et maladie coeliaque. Dans des conditions physiologiques normales, les acides biliaires se répandent dans le duodénum après qu’un repas ait stimulé la contraction de la vésicule biliaire, puis passent dans l’intestin où, entre autres activités, ils se lient aux lipides d’origine alimentaire pour les ramener au foie. Normalement, 95 % des acides biliaires sont réabsorbés; le reste est excrété dans les fèces13. Lorsque l’absorption des acides biliaires est perturbée, les sels biliaires atteignent le côlon en plus fortes proportions. Ils y sont déconjugués sous l’action de bactéries commensales, puis semblent interagir avec les entérocytes et d’autres cellules de la bordure en brosse. Les mécanismes complexes au moyen desquels les sels biliaires stimulent la sécrétion de l’eau et des électrolytes se soldant par une diarrhée aqueuse et parfois par une stéatorrhée, comprennent la stimulation de la sécrétion d’anions organiques, la régulation positive de l’activité de l’AMP cyclique, l’augmentation de la calcémie cytosolique, l’intensification de la synthèse des prostaglandines dans les cellules chorioniques, la stimulation des neurones entériques pour qu’elles déclenchent des contractions propulsives et l’augmentation de la perméabilité de la jonction occlusive aux liquides et aux électrolytes14. Lorsqu’ils qu’ils parviennent dans l’intestin grêle après avoir été administrés par voie orale, le colésévélam, le colestipol et la cholestyramine, des chélateurs des acides biliaires, se lient aux acides biliaires afin de former un complexe insoluble capable de traverser le gros intestin, la sécrétion d’eau et d’électrolytes étant moindre, voire minime. On pourrait logiquement s’attendre à ce que les chélateurs des acides biliaires aient un effet positif sur la diarrhée des personnes atteintes de malabsorption de ces acides. Or certaines études cliniques ont confirmé qu’une quantité accrue d’acides biliaires peut entraîner une diarrhée sécrétoire et d’autres ont démontré que les chélateurs des acides biliaires peuvent contrer cet effet. Dans une série d’essais menés avec répartition aléatoire des sujets, dont les résultats ont fait l’objet d’une publication conjointe, l’administration de sels de l’acide chénodésoxycholique (CDC) à des volontaires sains s’est traduite par une augmentation significative de la fréquence des selles, par un ramollissement de ces dernières et par une accélération du transit colique15. Lors d’une étude satellite effectuée chez patients aux prises avec le syndrome du côlon irritable et une malabsorption des acides biliaires, les chercheurs ont fait un rapprochement entre l’administration de colésévélam et une baisse de la fréquence des selles, des selles plus fermes et un transit colique plus lent comparativement au placebo. Approximativement 30 % des patients atteints de la maladie de Crohn en viennent à présenter une malabsorption des acides biliaires16. Il arrive souvent qu’une évacuation plus fréquente de selles plus molles, à tout le moins partiellement imputable à la malabsorption des acides biliaires, soit rapportée après une cholécystectomie17. La diarrhée consécutive à une résection iléale est également fréquente et attribuée à une perturbation de l’absorption de ces acides18.Une étude menée à double insu a confirmé que l’administration de chélateurs des acides biliaires permettait d’atténuer la diarrhée après une telle intervention19. Si la vagotomie et les maladies coeliaques sont rarement en cause dans les cas de malabsorption des acides biliaires, la malabsorption des acides biliaires idiopathique existe20. Des chercheurs ont démontré récemment que ces cas, du moins certains d’entre eux, sont imputables à une défectuosité du facteur de croissance des fibroblastes 19 (FGF-19), qui est fabriqué par les entérocytes iléaux et qui sert de signal de rétroaction négative pour la synthèse des acides biliaires21. La malabsorption des acides biliaires, peu importe sa cause, est néanmoins facile à diagnostiquer au moyen du test à l’acide homotaurocholique marqué au sélénium 75 (Se HCAT). Les praticiens ont utilisé les chélateurs des acides biliaires de manière empirique, pour ne pas dire au compte-gouttes, contre les autres formes de diarrhée, y compris dans le traitement de la diarrhée causée par Clostridium difficile. Leur mode d’action semble alors reposer sur leur aptitude à capter les toxines libérées par les bactéries22. Cependant, les quelques observations faisant état de l’efficacité du traitement de la diarrhée chronique idiopathique à l’aide de chélateurs des acides biliaires pourraient s’expliquer en partie, si ce n’est principalement, par la maîtrise d’une malabsorption des acides biliaires qui n’avait pas été diagnostiquée. Au cours d’une étude réalisée chez 304 patients diarrhéiques stratifiés en fonction du diagnostic posé, le taux de malabsorption des acides biliaires décelée au moyen du test du Se HCAT s’élevait à 97 % chez les sujets aux prises avec une forme évolutive de la maladie de Crohn, à 54 % chez ceux dont la maladie de Crohn était en rémission, à 55 % chez les sujets ayant subi une vagotomie et une pyloroplastie assortie ou non d’une cholécystectomie et à 33 % chez les sujets présentant un côlon irritable. Les auteurs ont noté que les chélateurs des acides biliaires se montraient souvent efficaces chez de tels patients22. (Fig. 4) Les chélateurs des acides biliaires ont d’autres usages cliniques, quoique beaucoup moins répandus, notamment le traitement du prurit associé aux hépatopathies chroniques ou à l’obstruction des voies biliaires. Bien que l’acide ursodésoxycholique soit souvent l’agent privilégié pour cette indication, la plupart des patients manifesteront une réponse à tout le moins partielle à un chélateur des acides biliaires au bout de deux semaines de traitement23. Ces agents ont également servi de traitement adjuvant dans des cas d’hyperthyroïdie en raison de leur aptitude à abaisser les taux de thyroxine en intensifiant l’élimination de la lévothyroxine. Si ces utilisations reposent sur l’empirisme et si les données les appuyant sont relativement fragmentaires, elles ont tout de même un lien logique avec les effets que devrait normalement produire l’augmentation de l’excrétion des acides biliaires dans l’intestin grêle.
Les chélateurs des acides biliaires de première et de deuxième génération
Selon toute apparence, les chélateurs des acides biliaires ne sont pas interchangeables. La cholestyramine et le colestipol, qui sont généralement considérés comme les agents de première génération, n’ont pas la même structure chimique, mais ils exercent des effets similaires sur l’absorption des acides biliaires et, par voie de conséquence, sur la réduction de la lipidémie. Ces deux agents sont offerts sous forme de poudre à mélanger aux aliments ou à de l’eau. Tout comme un grand nombre d’agents pharmacologiques tels que la warfarine, la pénicilline, le propranolol et la digoxine pour n’en nommer que quelques-uns, la cholestyramine et le colestipol nuisent à l’absorption intestinale de la vitamine A et de la vitamine K24. Ce sont les effets indésirables de nature gastro-intestinale, notamment les ballonnements, la douleur abdominale, les nausées et les flatulences, qui ont surtout limité l’usage de ces agents de première génération. Le colésévélam, un chélateur des acides biliaires de deuxième génération, serait de quatre à six fois plus actif que les agents de première génération parce qu’il se lierait de façon plus importante à sa cible25. En outre, les chaînes latérales de sa structure chimique expliqueraient sa plus grande spécificité d’action sur les acides biliaires et le fait qu’il risque moins d’interagir avec d’autres agents (Fig. 5)26. Sa plus grande prédilection pour les acides biliaires hydrophobes que sont l’acide chénodésoxycholique et l’acide désoxycholique que pour les sels biliaires hydrophiles pourrait également jouer un rôle majeur dans sa spécificité d’action comme chélateur des acides biliaires et le risque relativement faible d’interactions médicamenteuses. Au moment de leur lancement sur le marché, les statines avaient au moins un grand avantage sur les chélateurs des acides biliaires offerts sous forme de poudre : ils permettaient d’obtenir des réductions relativement marquées de la cholestérolémie au moyen d’un seul comprimé. La dose d’attaque du colésévélam, qui est présenté sous forme de comprimés dosés à 625 mg, est de 3,75 g/jour, soit six comprimés pris une fois par jour ou trois comprimés pris deux fois par jour. L’utilisation de doses plus élevées peut se révéler nécessaire pour obtenir un maximum d’efficacité avec cet agent. Cela dit, des doses beaucoup plus faibles permettent ordinairement de lutter efficacement contre la diarrhée imputable à la malabsorption des acides biliaires. Des cliniciens ont constaté chez une série de patients qu’ils avaient obtenu un effet convenable en prenant à peine deux comprimés par jour, mais jamais plus de six comprimés28.
Pour ce qui est des applications cliniques, les deux grands avantages de l’agent de deuxième génération sont une incidence relativement faible d’effets indésirables et le fait qu’il soit offert sous forme de comprimés, deux facteurs importants pour favoriser la fidélité au traitement.
Pour ce qui est des applications cliniques, les deux grands avantages du colésévélam, un agent de deuxième génération, sont une incidence relativement faible d’effets indésirables et le fait qu’il soit offert sous forme de comprimés, deux facteurs importants pour favoriser la fidélité au traitement. Le colésévélam peut provoquer certains des effets indésirables souvent observés avec les autres chélateurs des acides biliaires de première génération, mais ils sont moins fréquents et moins intenses27, 28. Tandis que les patients se plaignent du goût et de la présentation des autres chélateurs des acides biliaires sous forme de poudre, plus de 90 % des patients prenant du colésévélam seraient fidèles à leur traitement selon les rapports25. Les patients seront fort probablement très nombreux à apprécier la commodité des comprimés de colésévélam et les préféreront sans doute aux sachets de poudre dont l’utilisation suppose une étape supplémentaire. Notons une autre différence entre les chélateurs des acides biliaires : le colésévélam, contrairement à la cholestyramine et au colestipol, ne s’est pas montré plus efficace qu’un placebo pour atténuer le prurit associé aux hépatopathies chroniques ou à l’obstruction des voies biliaires29. Étant donné que l’acide ursodésoxycholique est considéré comme le médicament à privilégier chez ces patients, la cholestyramine ou le colestipol étant utilisés en deuxième intention ou comme adjuvants30, cette différence laisse entrevoir le problème de l’utilisation personnalisée des chélateurs des acides biliaires chez les patients ayant plusieurs cibles thérapeutiques. Par exemple, si ces agents peuvent présenter un grand intérêt chez les patients dont les voies biliaires sont obstruées et dont le taux de cholestérol est élevé, les chélateurs des acides biliaires en général pourraient être particulièrement intéressants en monothérapie ou en association avec les statines pour abaisser la cholestérolémie chez ceux qui sont atteints à la fois d’hyperlipidémie et de diabète en raison de leur effet favorable sur la biotransformation du glucose.
Conclusion
Les chélateurs des acides biliaires ont de longs états de service dans le traitement de l’hypercholestérolémie et des troubles digestifs. Le mode d’action et l’efficacité de ces agents, de même que les risques qu’ils comportent, sont bien connus. L’arrivée sur le marché d’un chélateur des acides biliaires de deuxième génération présenté sous forme de comprimé a donné lieu à un regain d’intérêt pour l’utilisation de ces agents, regain qui a été catalysé par une intolérance de plus en plus répandue aux statines et par une meilleure appréciation de la prévalence élevée de la malabsorption des acides biliaires. Parce qu’il réduit le risque d’effets indésirables et qu’il rend l’administration par voie orale encore plus pratique, le comprimé de deuxième génération a tout ce qu’il faut pour favoriser la fidélité au traitement, facteur essentiel pour obtenir les bienfaits documentés au cours des 50 dernières années d’usage clinique.
Références
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Les chélateurs des acides biliaires : pour enclencher un mécanisme unique
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