neurologie
64e réunion annuelle de l’American Academy of Neurology (AAN)
Le choix d’un traitement contre la sclérose en plaques se complexifie en raison de la multiplication des classes de médicaments
Nouvelle-Orléans – Les nouvelles options thérapeutiques dirigées contre la sclérose en plaques (SP) commanderont, à terme, une réévaluation des algorithmes de traitement utilisés en première intention. À l’heure actuelle, les nouveaux traitements de fond, dont un médicament administré par voie orale, ne sont pour ainsi dire employés qu’en deuxième ou en troisième intention, le temps qu’une surveillance de plus longue durée vienne enrichir les données probantes confirmant qu’ils sont bien tolérés et sûrs lorsqu’ils sont pris de façon chronique. Il est important de faire preuve de vigilance en ce qui concerne l’innocuité à long terme de tous les médicaments que les patients sont susceptibles de prendre indéfiniment. Qui plus est, il faut se montrer particulièrement prudent avec les traitements de fond utilisés contre la SP en raison de leur effet sur les processus immunomodulateurs qui interviennent dans la défense de l’organisme contre l’infection et le cancer. Le remplacement éventuel des traitements de fond classiques, qui ont fait leurs preuves pour protéger les patients contre les rechutes et qui risquent peu de provoquer des effets indésirables graves, par les traitements de fond plus récents ne pourra se faire sans la conviction que non seulement ces nouveaux médicaments freineront aussi bien l’évolution de la SP tout en risquant peu de causer des effets indésirables, mais également qu’ils n’affaibliront pas les défenses immunitaires innées des patients.
Des données sur divers produits dirigés contre la SP, nouvellement sur le marché ou sur le point de l’être tels que le fingolimod, le BG-12, le tériflunomide, le laquinimod et l’alemtuzumab, ont été présentées dans le cadre de la réunion annuelle de 2012 de l’American Academy of Neurology (AAN). Parallèlement à ces données, ont aussi été décrites des études ayant servi à établir où les agents utilisés en première intention, c’est-à-dire l’acétate de glatiramère et les interférons, se situent au sein des stratégies destinées à maîtriser la maladie avec un maximum de tolérabilité et d’innocuité. Une nouvelle étude indiquant que l’établissement du profil génétique pourrait se révéler utile pour prédire la réaction au traitement est venue confirmer que la prise en charge de premier recours de la SP pourrait bien évoluer (MACCIARDI, F., et al. AAN 2012, résumé S20.003). Il n’en demeure pas moins que l’innocuité et la tolérabilité resteront les critères présidant au choix des traitements actuellement employés en première intention tant que des données plus convaincantes ne démontreront pas que les nouveaux agents offrent des avantages par rapport à ces produits, sans toutefois être assortis de nouveaux risques. « Nous n’avons pas complètement cerné tous les effets exercés par les traitements de fond, mais nous savons qu’ils ont un effet négatif sur les cellules immunitaires et les processus inflammatoires. Nous ne saurions sous-estimer l’importance du suivi à long terme pour confirmer l’innocuité de ces agents. Nous ignorons totalement quelles peuvent être les répercussions d’un affaiblissement durable de la fonction immunitaire sur les divers appareils et systèmes organiques », a déclaré le Dr Corey Ford, Professeur de neurologie, à l’Université du Nouveau-Mexique, à Albuquerque. Le Dr Ford a fait ces remarques alors qu’il décrivait une étude réalisée au sein d’une population de patients suivis très longtemps après qu’ils aient entrepris un traitement de fond et dont le score sur l’échelle étendue d’incapacité de Kurtzke se chiffrait à 2,5 ou plus (FORD, C., et al. AAN 2012, P05.091). Ces données, qui seraient plus difficiles à colliger aujourd’hui, sont issues d’une étude prospective sur l’acétate de glatiramère amorcée en 1991, alors qu’aucun traitement de fond n’était encore homologué. À l’époque, la maladie était souvent rendue à un stade avancé quand les patients commençaient leur traitement. Au cours de cette analyse récente, 48 patients qui avaient un score d’au moins 2,5 sur l’échelle de Kurtzke au début du traitement ont été comparés à 52 autres patients dont le score était moins élevé. L’exposition moyenne de ces patients à l’acétate de glatiramère s’élevait à 13,6 années, les extrêmes se situant à 11,7 et 15,3 années. Au terme de cette longue période de suivi, « l’incapacité ne s’était pas aggravée chez les deux tiers des sujets qui avaient un score élevé sur l’échelle de Kurtzke [moyenne : 3,58] au début de l’étude et les trois quarts des sujets pouvaient encore se déplacer sans appareil d’aide à la marche, a affirmé le Dr Ford. Selon les études portant sur l’évolution naturelle de la maladie, les sujets qui avaient un score élevé sur l’échelle de Kurtzke au début de l’étude auraient normalement dû voir leur maladie évoluer de façon accélérée vers l’incapacité, la moitié d’entre eux ayant besoin d’une aide à la marche dans les 10 ans. Or l’évolution de la maladie chez ces patients ressemblait plutôt à celle observée chez les patients qui avaient un score peu élevé. » (Fig. 1) La protection contre l’évolution de la maladie même chez des patients dont l’incapacité est substantielle au début du traitement a certes des implications majeures pour la maîtrise durable de la maladie. Or le Dr Ford a tenu à renchérir en affirmant que pendant les dix années et plus de suivi de cette étude « aucun problème d’innocuité imprévu » ne s’était manifesté avec le traitement de fond utilisé.
Évaluation de l’innocuité à long terme
Parmi les problèmes d’innocuité à long terme, les altérations immunomodulatrices réputées précéder le cancer, les infections graves ou la leucoencéphalopathie multifocale progressive (LEMP), comptent parmi les plus préoccupants, mais le risque d’effets indésirables graves qui ne sont pas en lien direct avec la fonction immunitaire pourrait également limiter l’intérêt des médicaments contre la SP utilisés indéfiniment. L’importance relative des effets indésirables de nature gastro-intestinale et cardiovasculaire provoqués par les agents récents fait l’objet d’évaluations intensives. La Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis a dernièrement resserré ses exigences pour les sections de la monographie portant sur les effets cardiaques du fingolimod, le premier traitement de fond pour administration orale qui ait été homologué, en se fondant surtout sur les variations de la pression artérielle et de la fréquence cardiaque observées au cours des études de phase III. Ainsi, la monographie recommande maintenant que la pression artérielle et la fréquence cardiaque soient mesurées toutes les heures pendant la période d’observation de 6 heures qui suit l’administration de la première dose de fingolimod et non plus avant, puis 6 heures après l’administration de cette première dose. Les données relatives à la fonction cardiovasculaire issues de l’étude FREEDOMS II sur le fingolimod administré par voie orale, qui ont été présentées dans le cadre de la réunion de 2012 de l’AAN sont venues appuyer cette mise en garde (CALABRESI, P. A., et al. AAN 2012, séance sur les sciences émergentes 015). Selon les résultats exposés par le Dr Peter Calabresi, Directeur du Centre de la sclérose en plaques de l’université Johns Hopkins, de Baltimore, au Maryland, l’incidence de l’hypertension artérielle dans le groupe placebo et les groupes recevant des doses de 0,5 mg ou de 1,25 mg de fingolimod une fois par jour s’élevait à 3,1 %, à 8,9 % et à 12,7 %, respectivement. En outre, l’incidence du bloc auriculoventriculaire s’y chiffrait à 2 %, à 3,4 % et à 6,7 % (Fig. 2). Au cours de l’étude FIRST, qui était expressément conçue pour suivre les variations de la pression artérielle et de la fréquence cardiaque chez 2289 patients, l’incidence du bloc de Luciani-Wenckebach avec le fingolimod s’établissait à 1,4 %, selon le Dr Giancarlo Comi, Directeur du Département de neurologie de l’université Vita-Salute San Raffaele, de Milan, en Italie. Bien que l’incidence du bloc de Mobitz de type 2 ait été inférieure à 0,1 %, le risque de bradycardie et d’effet indésirable de nature cardiovasculaire était plus élevé chez les patients qui étaient déjà atteints d’une cardiopathie au début de l’étude (COMI, G., et al. AAN 2012, S41.003). Lors de l’étude FREEDOMS, une étude de Phase III, qui a été décrite par le Dr Ludwig Kappos, Professeur de neurologie, à l’Université de Bâle, en Suisse, des incidents cardiovasculaires ont bel et bien été rapportés dans le groupe traité par le fingolimod, y compris la bradycardie et le bloc auriculoventriculaire, mais ils n’ont eu aucune conséquence majeure sur le plan clinique (KAPPOS, L., et al. AAN 2012, S41.004). Les effets cardiaques du fingolimod, un modulateur des récepteurs de la sphingosine-1-phosphate, peuvent être propres à la classe de médicaments à laquelle il appartient ou non. Par exemple, d’après le Dr Timothy Vollmer, Professeur de neurologie à l’Université du Colorado, à Denver, qui parlait des données issues d’une étude de Phase II contrôlée par placebo et portant sur l’ONO‑4641, un agent expérimental de la même classe, l’hypertension n’y est pas ressortie comme un effet indésirable fréquent comparativement au placebo (2 % vs 0 %), même lorsque cet agent était administré à la dose la plus forte (0,15 mg/jour). En revanche, il semblerait que le bloc auriculoventriculaire du premier degré s’est manifesté plus souvent chez les sujets ayant reçu les doses de 0,15 mg (3 %) et de 0,1 mg (4,9 %) d’ONO‑4641 par rapport au placebo (1 %) (Fig. 3) (VOLLMER, T. L., et al. AAN 2012, 5LB001.013). Le Dr Olaf Stüve, Professeur adjoint de neurologie au Centre médical Southwestern de Dallas, au Texas a présenté des données tirées d’une étude de Phase II réalisée à double insu ayant porté sur le BAF312, un autre modulateur des récepteurs de la sphingosine-1-phosphate prometteur. Or la bradycardie, à l’instar des étourdissements et des céphalées, y était classée parmi les effets indésirables courants (STÜVE, O., et al. AAN 2012, S30.001).
Tolérabilité
Le BG-12, un ester de l’acide fumarique, est un agent pour administration orale qui en est à un stade avancé de la recherche clinique. Il est doté d’un mode d’action différent et n’a pas été relié à une hausse substantielle du risque cardiaque. Selon les données de l’étude CONFIRM, une étude de Phase III, qui ont été transmises dans le cadre de la réunion de 2012 de l’AAN par le Dr J. Theodore Phillips, Directeur du Centre de la sclérose en plaques, Texas Neurology, de Dallas, au Texas, les bouffées vasomotrices, la diarrhée et les nausées ont été les effets indésirables principaux de cet agent (PHILLIPS, J. T., et al. AAN 2012, S41.005). Au cours de cette étude, des doses de 240 mg de BG-12 administrées deux et trois fois par jour et de l’acétate de glatiramère ont été comparées à un placebo. L’incidence des bouffées vasomotrices a été de 31 %, de 24 %, de 4 % et de 2 % pour le BG-12 administré deux fois par jour, le BG-12 administré trois fois par jour, le placebo et l’acétate de glatiramère, respectivement. L’incidence de la diarrhée s’est chiffrée à 13 %, à 15 %, à 8 % et à 4 %, respectivement, tandis que celle des nausées s’est élevée à 11 %, à 15 %, à 8 % et à 4 %. Lors de la réunion de 2012 de l’AAN, il n’a été question d’aucune nouvelle donnée sur l’innocuité du tériflunomide, un traitement de fond pour administration orale en voie de développement, qui inhibe la synthèse de la pyrimidine en bloquant la dihydroorotate déhydrogénase. Cela dit, une nouvelle analyse effectuée par le Dr Aaron Miller, de l’École de médecine Mount Sinaï, de New York, d’un essai réalisé antérieurement intitulé Teriflunomide Multiple Sclerosis Oral (TEMSO) (O’CONNOR, P., et al. New Engl J Med, vol. 365, 2011, p. 1293-1303) a permis de constater que le tériflunomide avait réduit de 43 % l’incidence annuelle de rechutes motivant l’hospitalisation des patients comparativement au placebo (p < 0,001) (MILLER, A., et al. AAN 2012, S30.003). Selon les données originales de l’essai TEMSO, qui a servi à comparer des doses de 7 mg et de 14 mg de tériflunomide à un placebo, la diarrhée, qui est survenue chez 14,7 % des sujets traités au moyen de la dose faible, 17,9 % de ceux qui recevaient la dose élevée et 8,9 % des témoins, s’est révélée un problème d’innocuité. Les nausées ont été légèrement plus fréquentes chez les patients traités par la dose élevée de tériflunomide que chez les témoins (13,7 % vs 7,2 %). En outre, une raréfaction des cheveux ou une diminution de la densité capillaire s’est produite chez 10,3 % des sujets ayant reçu la dose faible de tériflunomide, 13,1 % de ceux qui prenaient la dose élevée et 3,3 % des témoins. Aucune hausse significative des incidents cardiovasculaires ou des effets indésirables gastro-intestinaux n’est ressortie des analyses des données d’innocuité regroupées des essais ALLEGRO et BRAVO ayant porté sur le laquinimod, un autre traitement de fond pour administration orale en voie de développement (COMI, G., et al. AAN 2012, S04.132). Selon les données regroupées exposées par le Dr Comi, parmi les sujets qui avaient eu des électrocardiogrammes normaux au début de l’essai, 0,5 % de ceux que le processus de répartition aléatoire avait conduits dans le groupe témoin et 0,3 % de ceux du groupe traité par le laquinimod ont eu des anomalies par la suite sur leurs tracés électrocardiographiques. Une hausse des concentrations d’enzymes hépatiques correspondant à plus de 3 fois la limite supérieure de la normale s’est vue plus souvent dans le groupe laquinimod que dans le groupe témoin (4,5 vs 1,9 %), mais les taux d’abandons motivés par cet effet indésirable était du même ordre que celui observé chez les patients ayant connu des hausses correspondant à plus de 5 fois la limite supérieure de la normale (1,1 % vs 1,3 %). Notant également que l’incidence des effets indésirables graves était comparable dans le groupe laquinimod et le groupe témoin, le Dr Comi a qualifié d’« excellent » le bilan d’innocuité de cet agent expérimental pour administration orale (Fig. 4). Selon les données des études CARE-MS I et CARE-MS II, des études de Phase III, l’alemtuzumab, un anticorps monoclonal injectable qui cible l’antigène CD52 sur les lymphocytes T et les lymphocytes B, induirait une réaction auto-immune qui altère la fonction thyroïdienne. Tout comme d’autres traitements de fond qui en sont aux stades avancés de leur développement, cet agent a fait preuve d’une efficacité clinique prometteuse, mais c’est son innocuité à long terme qui pourrait en fin de compte décider de son sort au sein de l’algorithme de traitement. D’après les données issues de l’étude CARE-MS II qui ont été présentées par le Dr Krzysztof Selmaj du Département de neurologie de l’Université médicale de Lodz, en Pologne, l’incidence des effets indésirables auto-immuns touchant la thyroïde se chiffrait à 18,1 % dans le groupe traité par l’alemtuzumab contre 6,4 % chez les sujets que la répartition aléatoire avait amenés à recevoir de l’interféron ß-1a par voie sous-cutanée. Une thrombocytopénie d’origine immunitaire révélée consécutivement à une numération plaquettaire a été rapportée chez 0,8 % et 0,5 % des sujets, respectivement (SELMAJ, K., et al. AAN 2012, présentation en tribune S41.006). Même si l’alemtuzumab a semblé plus efficace que l’interféron ß-1a dans les études CARE-MS I et CARE-MS II, ses effets à distance sur l’auto-immunité continueront d’être surveillés d’extrêmement près. Avec l’arrivée sur le marché de nouveaux agents, l’innocuité pèsera très lourd dans la démarche visant à déterminer s’il y a lieu ou non de modifier l’ordre dans lequel les agents sont utilisés en première intention. Or une étude d’association pangénomique a permis de faire des observations fascinantes selon lesquelles il est possible de personnaliser les traitements afin de maximiser leur efficacité tout en assurant leur innocuité. Cette étude d’association pangénomique, qui a été menée avec l’acétate de glatiramère, a permis de répertorier 31 polymorphismes mononucléotidiques (SNP) et de les relier à une réponse remarquable ou à une absence de réponse remarquable à cet agent. À partir de là, un modèle à 6 SNP a été conçu afin de tenter de repérer les patients susceptibles de manifester une réponse remarquable à l’acétate de glatiramère, celle-ci étant définie comme l’absence à 12 mois de rechute, de nouvelles lésions en T2 et de lésions prenant le contraste (MACCIARDI, F., et al. AAN 2012, résumé S20.003). « Lorsque nous l’avons essayé chez des sujets consentants participant à des essais cliniques sur l’acétate de glatiramère, nous avons constaté que le modèle était doté d’une valeur prédictive positive de 90,6 % et d’une valeur prédictive négative de 90,5 % pour les répondeurs remarquables », a affirmé le Dr Fabio Macciardi, Président du Groupe de travail en génomique de l’Université de Californie, à Irvine. « Ces études sont importantes et il faut les poursuivre. Pour l’heure, elles soulèvent plus de questions que de réponses parce que les variables qui interviennent dans la réaction d’un patient à un traitement de fond sont probablement extrêmement complexes, mais l’idée d’un traitement personnalisé est attrayante et nous ne pouvons que féliciter les auteurs d’avoir exploré cette avenue », a commenté le Dr Jack Antel, Professeur à l’Institut de neurologie de Montréal, au Québec.
Conclusion
La multiplication des traitements qui se montrent efficaces contre la SP porte à croire que les algorithmes de traitement pourraient devoir être modifiés une fois que nous comprendrons mieux les forces et les faiblesses relatives de ces agents. Il est à prévoir que l’acétate de glatiramère et les interférons, pierres angulaires des traitements de fond, continueront de jouer un rôle prépondérant dans le traitement de la SP à moins que les nouveaux agents se révèlent aussi efficaces, aussi bien tolérés et aussi sûrs qu’eux.