hématologie
58e réunion annuelle et exposition de l’American Society of Hematology (ASH)
Myélofibrose : le recours à des agents ciblés dès le début de la maladie pourrait prolonger l’espérance de vie
San Diego – Selon une des études présentées lors de la réunion annuelle de l’ASH de 2016, qui portait sur les progrès réalisés dans la prise en charge de la myélofibrose, un traitement ciblé dont l’effet positif sur la survie est documenté pourrait prolonger encore plus l’espérance de vie s’il était administré dès le début de la maladie. Ont notamment été présentées deux importantes analyses circonstanciées de l’efficacité et de l’innocuité à long terme d’un inhibiteur de la Janus kinase (JAK) dans le traitement de la myélofibrose, une étude de phase initiale sur l’inhibition de la JAK comme préalable à la greffe de cellules souches hématopoïétiques (GCSH) et une étude sur un inhibiteur multikinase expérimental ayant fait preuve d’activité chez des patients dont la plaquettémie de référence était faible.
La voie de signalisation de la JAK : un facteur capital dans les cas de myélofibrose
La collecte de données probantes confirmant que l’activation de la voie de signalisation de la JAK joue un rôle prépondérant dans la pathogenèse de la myélofibrose a connu son point culminant au cours des études COMFORT I et II, des études de phase III déterminantes ayant porté sur un agent ciblant cette voie de signalisation et dont les résultats ont été publiés il y a près de 5 ans (Harrison, C., et al. N Engl J Med, 2012; 366:787-798 et 799-807). Ces études ont en effet permis d’établir un parallèle entre l’utilisation du ruxolitinib, un inhibiteur de la JAK, et une prolongation de la survie globale, une diminution de la splénomégalie, une atténuation des symptômes de la myélofibrose et une amélioration de la qualité de vie. Deux nouvelles études présentées lors de la réunion annuelle de l’ASH de 2016, qui ont été réalisées à partir de ces mêmes données, portent à croire que l’administration de cet agent plus tôt au cours de la maladie pourrait prolonger encore davantage la survie globale. Une analyse exploratoire a eu pour objectif de comparer l’issue du traitement chez des patients ayant entrepris un traitement par le ruxolitinib avant qu’ils soient atteints d’anémie à celle de patients déjà anémiques (Gupta, V.,et al. ASH 2016, résumé 3118). Par définition, les patients anémiques avaient subi une transfusion sanguine de globules rouges dans les 12 semaines ayant précédé leur recrutement à l’étude ou présentaient une hémoglobinémie inférieure à 10 g/dL. Selon les résultats de cette analyse, la probabilité de ne pas dépendre des transfusions était plus grande à la 24e semaine si le traitement avait été amorcé avant l’apparition de l’anémie. Cette indépendance transfusionnelle s’est traduite par une prolongation de la survie globale au terme de 5 années de suivi. « L’issue médiocre des traitements qui est bien documentée dans les cas d’anémie couplée aux résultats obtenus lors de cette étude en matière de transfusion et de survie globale donne à penser que les patients atteints de myélofibrose pourraient obtenir de meilleurs résultats si le traitement par le ruxolitinib était amorcé plus tôt », a déclaré l’auteur principal de cette analyse, le Dr Vikas Gupta, du Centre de traitement du cancer Princess Margaret, de Toronto, en Ontario. En fait, il serait plus avantageux, semble-t-il, s’il était entrepris avant l’apparition de l’anémie.
Peu d’options s’offraient aux patients avant l’arrivée du ruxolitinib
Avant l’arrivée du ruxolitinib sur le marché, les patients auxquels une GCSH potentiellement curative ne convenait pas disposaient de peu d’options pour maîtriser leurs symptômes ou pour freiner ce processus morbide inévitablement mortel. Avec l’évolution de l’anémie, de la thrombocytopénie et de la leucopénie provoquée par la myélofibrose viennent la fatigue, une perte pondérale, une ostéalgie, une cachexie, des douleurs abdominales et de la faiblesse. Or les études COMFORT ont révélé que l’inhibition de la JAK permet de maîtriser les symptômes et de prolonger la survie des patients qui sont modérément ou très vulnérables comparativement aux témoins ayant reçu un placebo ou le meilleur traitement disponible, mais le moment idéal pour amorcer ce traitement fait encore l’objet d’intenses recherches. D’après les données issues de l’analyse exploratoire, la probabilité de ne pas avoir encore besoin de transfusions à la 24e semaine était plus forte chez les patients qui étaient indemnes d’anémie au début de l’étude. Même si près d’un cinquième des patients traités par le ruxolitinib qui étaient anémiques au début de l’étude n’avaient toujours pas besoin de transfusion à la 24e semaine, il est plus important de noter que le traitement par cet agent a permis de prévenir l’effet indésirable qu’est la dépendance aux transfusions à cet intervalle de mesure.
« La survie globale médiane était significativement plus longue dans le groupe ruxolitinib que chez les témoins, et ce même chez les sujets qui étaient dépendants des transfusions à la 24e semaine. »
« Le besoin de transfusion [à la 24e semaine] a eu peu de répercussions sur l’issue clinique ou sur le taux d’abandons du traitement au sein du groupe ruxolitinib. Il a cependant été associé à une réduction de la survie globale et à une aggravation des scores de symptomatologie totaux de la myélofibrose chez les témoins », a expliqué le Dr Gupta.
La maîtrise de l’anémie permet de prolonger la survie globale
En outre, « la survie globale médiane était significativement plus longue dans le groupe ruxolitinib que chez les témoins, et ce même chez les sujets qui étaient dépendants des transfusions à la 24e semaine », a précisé le Dr Gupta (Fig. 1A) et (Fig. 1B). En règle générale, la survie globale médiane s’élevait à 191 semaines et à 127 semaines chez les patients qui étaient anémiques au début de l’étude selon qu’ils étaient traités par le ruxolitinib ou recevaient le placebo. Quant aux patients indemnes d’anémie, la survie globale médiane n’a pas encore été atteinte chez ceux traités par le ruxolitinib, tandis qu’elle se chiffre à 90 semaines chez les sujets exempts d’anémie au début de l’étude (p = 0,0014, globalement en faveur du ruxolitinib). Une analyse selon l’intention de traiter distincte réalisée à partir de l’ensemble des données issues des études COMFORT a abouti à la même conclusion (Verstovsek, S., et al. ASH 2016, résumé 3110). Selon l’analyse en cours, 42,5 % des sujets traités par le ruxolitinib et 51,5 % des témoins (ayant reçu un placebo pendant l’étude COMFORT I et le meilleur traitement disponible pendant l’étude COMFORT 2) étaient toujours en vie à 5 ans. Le calcul du rapport des risques instantanés (RRI) permet de constater que le ruxolitinib a entraîné une baisse du risque de décès de 30 % (RRI : 0,70; p = 0,0065) (Fig. 2) et que cet avantage persiste même après permutation des groupes de sujets. Pendant l’étude COMFORT I, les témoins pouvaient recevoir du ruxolitinib dès que le volume de leur rate augmentait de 25 % ou plus, alors que dans le cadre de l’étude COMFORT II, les témoins ont été tenus de passer au ruxolitinib lorsque l’insu a été levé. Lorsque les chercheurs ont calculé la survie globale en retranchant les témoins au moment de la permutation, ils ont constaté que la réduction du risque de décès grimpait à 47 % (RRI : 0,53; p = 0,0013). Qui plus est, en comparant les patients qui avaient été affectés d’emblée au ruxolitinib à ceux qui y étaient passés plus tard, et après correction en fonction de cette permutation au moyen du modèle rank-preserving structural failure time (RPSFT), ils ont observé une réduction du risque de décès de 65 % (RRI : 0,35; la valeur de p n’a pas été calculée) (Fig. 3).
L’administration du ruxolitinib plus tôt permet d’enregistrer un gain au chapitre de la survie globale
« Ces résultats nous donnent à penser qu’en administrant le ruxolitinib plus tôt, nous permettrions aux patients atteints de myélofibrose de survivre encore plus longtemps », a rapporté l’auteur principal de cette analyse et chercheur principal de l’étude COMFORT I, le Dr Srdan Verstovsek, du Centre de traitement du cancer M.D. Anderson de l’Université du Texas, à Houston. Militant en faveur du traitement au début de la maladie, il a ajouté que l’utilisation du ruxolitinib s’était traduite par un gain relatif plus marqué du côté de la survie chez les patients atteints de myélofibrose modérément vulnérables que chez ceux qui le sont énormément (RRI : 2,55; p = 0,0003). Il n’en demeure pas moins que les bienfaits du traitement chez ces derniers étaient considérables selon le Système international d’évaluation du pronostic (International Pronostic Scoring System [IPSS]). À preuve, la survie globale médiane au sein de cette population se chiffrait à 2,8 années, soit une différence à la fois significative et substantielle si on la compare aux 2,3 années du groupe témoin historique. Une grande étude à accès élargi appelée JUMP (Foltz, L., et al. ASH 2016, résumé 3107) dont il a été question lors de la réunion annuelle, est venue confirmer l’efficacité et l’innocuité du ruxolitinib. Cette étude, qui a permis de collecter de nouvelles données sur 2233 patients de 26 pays, y compris le Canada, visait à évaluer le ruxolitinib hors du cadre restreint d’un essai clinique de phase III. « Une atténuation importante des symptômes sur le plan clinique a été observée 4 semaines à peine après le début du traitement et elle s’est maintenue au fil du temps », a rapporté la Dre Lynda Foltz, de l’Hôpital Saint-Paul de l’Université de Colombie-Britannique, à Vancouver. Pour ce qui est du volume de la rate, un autre paramètre rendant compte de la maîtrise de la myélofibrose, des réductions de plus en plus marquées ont été observées au cours des 12 premières semaines de traitement, puis se sont stabilisées pendant les 72 semaines de suivi (Fig. 4).
Une hématotoxicité tolérable
Comme ce fut le cas lors des études cliniques de phase III, une anémie (34,1 %) et une thrombocytopénie (16,3 %) de grade 3 ou plus ont été des effets indésirables fréquemment rapportés au cours de l’étude JUMP. Cela dit, ils ont rarement commandé l’abandon du traitement selon la Dre Foltz. Aucun effet indésirable non hématologique de grade 3 ou plus ne s’est produit chez plus de 3 % des patients. Même les plus répandus, soit la fièvre (15,6 %), l’asthénie (14,9 %) et la diarrhée (12,0 %) ont été peu fréquents. Des cas d’infections ont été observés, 1,3 % des patients ayant présenté une septicémie, mais seulement 2,8 % d’entre eux ont dû abandonner leur traitement pour cause d’infection. « En substance, ces données confirment les observations relevées pendant les études COMFORT, a affirmé la Dre Foltz. Le ruxolitinib a été bien toléré et la plupart des patients ont connu une atténuation de leurs symptômes et de leur splénomégalie ».
« Au cours de l’étude à accès élargi, « le ruxolitinib a été bien toléré et la plupart des patients ont connu une atténuation de leurs symptômes et de leur splénomégalie. »
Ces données ne permettent toutefois pas de répondre directement à la question sur le meilleur moment pour amorcer un traitement par le ruxolitinib. Questionnée à ce sujet, la Dre Foltz a expliqué que pour l’heure, les données objectives ne permettent de le déterminer, mais que les facteurs propres à chaque patient devraient guider les médecins dans l’évaluation du rapport entre les bienfaits escomptés du traitement et les risques qu’il comporte.
Nouvelles avenues dans le traitement de la myélofibrose
D’autres données sur le traitement de la myélofibrose qui ont été présentées dans le cadre de la réunion annuelle de l’ASH ont ouvert de nouvelles avenues pour la recherche sur cette maladie. Une des études a servi à évaluer l’inhibition de la JAK inhibition en tant que stratégie pour améliorer les paramètres cliniques des patients auxquels une GCSH pourrait convenir (Gupta, V., et al. ASH 2016, résumé 1126). Une autre portait sur l’emploi d’un agent ciblé expérimental appelé pacritinib chez les patients dont la plaquettémie est faible (Mascarenhas, J. et al. ASH 2016, LBA-5). Pour les besoins de la première de ces deux études, les patients ont reçu du ruxolitinib pendant les 56 jours précédant le traitement préparatoire administré en vue de la GCSH. Cette étude multicentrique de phase II visait à vérifier s’il était possible de réduire le volume de la rate et l’expression des cytokines inflammatoires afin d’améliorer l’indice fonctionnel des patients et influencer favorablement l’issue de la GCSH. Après avoir réduit la dose de ruxolitinib peu à peu, les chercheurs ont cessé l’administration de ce produit, puis ont entrepris le traitement préparatoire à la greffe. Des analyses distinctes ont comparé les données collectées selon que les patients devaient recevoir une greffe d’un donneur apparenté ou non. Les 14 patients devant recevoir une greffe d’un donneur non apparenté ont bel et bien subi cette intervention. Le Dr Gupta, chercheur principal chargé de cette étude, a affirmé que bien que l’on déplore deux échecs de la greffe et deux décès dans les 100 jours ayant suivi l’intervention, le ruxolitinib a tout de même été relié à des réductions palpables du volume de la rate et n’a pas semblé avoir de conséquence défavorable sur l’issue de la GCSH chez ces patients par la suite. En revanche, l’étude a été interrompue prématurément pour le groupe de 7 patients devant recevoir une greffe d’un donneur apparenté. Une des raisons justifiant de tout arrêter dans le protocole a été satisfaite quand deux patients n’ont pu recevoir leur greffe et quand la greffe a échoué chez un troisième. Cette première expérience donne toutefois à penser que la dose de ruxolitinib peut être réduite progressivement, et ce sans danger, avant d’entreprendre le traitement préparatoire à la greffe. Le Dr Gupta prévient cependant qu’il est peu probable que le ruxolitinib devienne un agent utilisé systématiquement avant une greffe chez les patients atteints de myélofibrose devant recevoir une greffe d’un donneur non apparenté. Il a plutôt laissé entendre qu’il faudra mener des études plus approfondies pour évaluer si cette stratégie est un bon moyen d’améliorer l’issue des traitements.
Données tirées d’une étude de phase III interrompue
L’étude PERSIST-2 sur le pacritinib, un inhibiteur de la JAK2, du récepteur FLT3, de l’IRAK1 et du récepteur du CSF1, a été présentée dans le cadre du programme destiné aux résumés de dernière heure. Le recrutement des sujets dans cette étude de phase III a été limité aux patients atteints de myélofibrose ayant une plaquettémie maximale de 100 000 cellules/μL. Les données divulguées sont celles qui ont été collectées chez les 311 patients recrutés avant que la Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis suspende l’utilisation clinique du pacritinib en raison de complications vasculaires imprévues, dont une hémorragie intracrânienne et un arrêt cardiaque, survenues pendant l’étude PERSIST-1. Le Dr John O. Mascarenhas, chercheur principal de cette étude, de l’École de médecine Icahn Mount Sinaï, de New York, a toutefois précisé qu’aucun parallèle n’a été établi entre le pacritinib et une hausse du risque d’accident vasculaire comparativement au meilleur traitement disponible à partir des données de postobservation recueillies à ce jour dans le cadre de l’étude PERSIST-2. Cet agent aurait plutôt été relié à une toxicité acceptable et aurait permis de réduire le volume de la rate d’au moins 35 % de plus que le meilleur traitement disponible (18 % versus 3 %; p = 0,001). Cela dit, aucun gain n’a été observé pour ce qui est de la survie globale.
« À mon humble avis, le pacritinib est un médicament efficace contre la myélofibrose; il faut toutefois l’étudier plus en profondeur. »
Soulignant que l’étude PERSIST-2 est la première qui ait démontré les bienfaits cliniques d’un agent ciblé chez des patients atteints de myélofibrose présentant une thrombocytopénie d’une telle importance, le Dr Mascarenhas a déclaré : « À mon humble avis, le pacritinib est un médicament efficace contre la myélofibrose qui vaut la peine qu’on l’étudie plus en profondeur ». Reste à savoir comment les nouvelles données influenceront la suite des choses pour cet agent.
Résumé
L’inhibition de la JAK a profondément changé le pronostic dans les cas de myélofibrose qui, si elle n’est pas traitée, est assortie d’une survie médiane de 2 années seulement chez les patients très vulnérables et de 4 années à peine chez ceux qui le sont modérément. Les résultats à long terme des études COMFORT, qui ont confirmé la prolongation de la survie globale, et ceux de l’étude à accès élargi JUMP, qui ont corroboré l’innocuité et la tolérabilité acceptables du ruxolitinib, ont hissé cet agent au rang de traitement type. Même si la proportion de patients susceptibles de recevoir une GCSH potentiellement curative reste faible, les efforts déployés pour traiter la myélofibrose plus tôt et pour enrichir l’éventail d’options thérapeutiques offertes en ciblant d’autres voies pathogènes pourraient améliorer l’issue du traitement chez les patients aux prises avec cette maladie.