Cardiologie
Séances scientifiques de l’American Heart Association (AHA)
L’étude d’envergure PIONEER-HF valide l’innocuité et les bienfaits d’une démarche thérapeutique avant le départ de l’hôpital
Chicago – À la lumière des résultats d’une étude multicentrique présentés dans un résumé de dernière minute à l’occasion des séances scientifiques de 2018 de l’AHA, les experts estiment que la norme de prise en charge de l’insuffisance cardiaque en milieu hospitalier est appelée à changer. De fait, l’étude a montré qu’un traitement recommandé dans les lignes directrices relatives à la prise en charge ambulatoire des patients qui ont subi une insuffisance cardiaque est également sûr et efficace lorsqu’il est mis en route alors que le patient est encore hospitalisé. Bien que le paramètre d’évaluation principal de l’étude ait été un biomarqueur neurohormonal de substitution, la fréquence d’un ensemble d’événements indésirables graves, dont la réadmission pour insuffisance cardiaque après une période de huit semaines, a été significativement inférieure dans le groupe expérimental. Les changements qui seront apportés à la norme de soins s’appliquant aux patients hospitalisés en raison d’une insuffisance cardiaque, qui visent à mettre en place un traitement déjà reconnu pour ralentir la progression de la maladie, seront les premiers depuis plus de 45 ans.
Les résultats de l’étude PIONEER-HF, présentés à l’occasion des séances scientifiques de 2018 de l’AHA et publiés simultanément (Velazquez E, et al. N Engl J Med 2018; 11 novembre [mis en ligne avant l’impression]), ont révélé qu’il est possible d’instaurer en toute sécurité un traitement efficace de l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection réduite (IC-FER) alors que le patient est toujours à l’hôpital. Comparativement à l’énalapril, l’association en comprimés de sacubitril, un inhibiteur de la néprilysine, et de valsartan, un antagoniste des récepteurs de l’angiotensine II (ARA) (sacubitril-valsartan) a permis d’obtenir non seulement une baisse plus importante du taux de propeptide N-terminal du peptide natriurétique de type B (NT-proBNP), un biomarqueur bien établi de la maîtrise de l’insuffisance cardiaque, mais aussi une diminution de la fréquence des événements indésirables associés à l’insuffisance cardiaque. Le traitement a été bien toléré.
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« Ces résultats appuient la mise en route d’un traitement par l’association sacubitril-valsartan avant le départ de l’hôpital chez les patients dont l’état a été stabilisé et présentant une insuffisance cardiaque aiguë décompensée et une fraction d’éjection réduite, sans égard aux antécédents en matière d’insuffisance cardiaque ou de traitement par un IECA ou un ARA », a expliqué le Dr Eric J. Velazquez, responsable de la section de médecine cardiovasculaire à la Faculté de médecine de l’Université Yale, à New Haven (Connecticut).
Au cours de l’étude PIONEER-HF menée dans 129 centres, 881 patients présentant une IC-FER ont été répartis aléatoirement pour recevoir l’association sacubitril-valsartan ou de l’énalapril après stabilisation hémodynamique. Dans le groupe expérimental, la dose cible était fixée à 97 mg de sacubitril et 103 mg de valsartan deux fois par jour. La dose cible d’énalapril était fixée à 10 mg deux fois par jour. Le paramètre d’évaluation principal était le taux de NT-proBNP après 4 et 8 semaines, mais les événements indésirables associés à l’insuffisance cardiaque et d’autres événements indésirables, notamment l’hypotension symptomatique, la détérioration de l’insuffisance cardiaque et l’hyperkaliémie, ont aussi été observés dans les deux groupes.
Résultats au titre du paramètre d’évaluation principal significativement supérieurs
Les résultats relatifs au paramètre d’évaluation principal, soit le taux de NT-proBNP exprimé sous forme de moyenne géométrique, révèlent une baisse de 46,7 % dans le groupe sacubitril-valsartan comparativement à 25,3 % dans le groupe énalapril (p < 0,001) par rapport au départ (Figure 1). Cette supériorité relative de l’association sacubitril-valsartan, qui a été observée presque immédiatement, a atteint le seuil de signification statistique à la fin de la première semaine. À ce moment, le taux de NT-proBNP était déjà inférieur de 24 % dans le groupe sacubitril-valsartan par rapport au groupe énalapril, et cette supériorité relative s’est maintenue ou accrue durant la période de suivi subséquente.
Le taux de NT-proBNP est un biomarqueur de l’activation neurohormonale et de stress hémodynamique dont la corrélation avec le risque de dénouements indésirables associés à l’insuffisance cardiaque a déjà été établie, mais les résultats de l’étude PIONEER-HF ont aussi révélé que l’association sacubitril-valsartan procure des bienfaits importants sur le plan clinique. Une diminution de 46 % d’un paramètre d’évaluation regroupant plusieurs événements graves (9,3 % vs 16,8 %), qui incluaient une diminution de 44 % du risque de réhospitalisation pour insuffisance cardiaque (8,0 % vs 13,8 %), a notamment été observée (Figure 2). Selon un expert indépendant, une baisse du taux de mortalité toutes causes confondues (2,3 % vs 3,4 %) constitue « une tendance positive », surtout dans le contexte d’une période de suivi limitée.
« Le critère d’évaluation principal était un paramètre de substitution, mais l’étude a révélé des bienfaits là où c’est important pour le patient ».
« Le critère d’évaluation principal était un paramètre de substitution, mais l’étude a révélé des bienfaits là où c’est important pour le patient », a déclaré le Dr Larry A. Allen, rattaché à la division de cardiologie de la Faculté de médecine de l’Université du Colorado, à Aurora. Invité par l’AHA à mettre en perspective les résultats de l’étude PIONEER-HF, il a qualifié d’« impressionnante » la baisse du taux de réhospitalisation pour insuffisance cardiaque. Il a aussi souligné que l’étude confirme que le traitement par l’association sacubitril-valsartan peut être mis en route en toute sécurité avant le départ de l’hôpital.
Bienfait avéré sur le plan de l’insuffisance cardiaque
L’évaluation de l’innocuité de la mise en route du traitement avant le départ de l’hôpital constituait un volet important de l’étude, étant donné que les résultats de l’étude PARADIGM-HF publiés antérieurement ont déjà démontré que l’association sacubitril-valsartan ralentit la progression de l’insuffisance cardiaque (McMurray JJV, et al. N Engl J Med 2014;371:993-1004). Au cours de l’étude PARADIGM-HF, les bienfaits de l’association sacubitril-valsartan se sont traduits par une diminution de 20 % (p < 0,001) des décès d’origine cardiovasculaire et des hospitalisations pour insuffisance cardiaque comparativement à l’énalapril après un suivi médian de 27 mois (Figure 3).
Le Dr Allen a déclaré que l’étude PARADIGM-HF « représente une grande réussite dans le domaine de l’IC-FER », tout en soulignant que les besoins pour de meilleurs soins mis en route à l’hôpital sont grands. Il a aussi fait remarquer que si les soins ambulatoires en matière de traitement de l’insuffisance cardiaque ont connu une série d’améliorations au fil des ans, les soins en milieu hospitalier, eux, n’ont que très peu changé au cours des dernières décennies.
« Nous avons besoin de meilleurs traitements en milieu hospitalier. Toute l’action se passe à l’hôpital. C’est là que sont administrés 70 % des soins. »
« Nous avons besoin de meilleurs traitements en milieu hospitalier. Toute l’action se passe à l’hôpital. C’est là que sont administrés 70 % des soins », a souligné le Dr Allen. À son avis, l’étude PIONEER-HF constitue une avancée capitale pour plusieurs raisons, la première étant qu’elle permet d’améliorer les résultats pour le patient. Elle confirme en outre le fait qu’il est possible de mettre en route plus rapidement un traitement réputé ralentir la progression de la maladie.
Évaluation de l’innocuité : un volet important de l’étude PIONEER-HF
En raison de la vulnérabilité des patients hospitalisés pour insuffisance cardiaque, l’innocuité et la tolérabilité d’un traitement ciblant l’activation neurohormonale constituaient des préoccupations importantes dans le cadre de l’étude, mais les fréquences des événements indésirables graves se sont avérées faibles dans les deux groupes. L’hyperkaliémie était légèrement plus fréquente dans le groupe sacubitril-valsartan (11,6 % vs 9,3 %), tandis que la dégradation de la fonction rénale était légèrement plus fréquente dans le groupe énalapril (13,6 % vs 14,7 %). Les cas d’hypotension symptomatique étaient aussi plus fréquents dans le groupe sacubitril-valsartan (15,0 % vs 12,7 %), tandis que l’œdème de Quincke était plus fréquent dans le groupe énalapril (0,2 % vs 1,4 %). Aucune de ces différences n’était significative sur le plan statistique (Tableau 1).
L’association sacubitril-valsartan a en outre été bien tolérée dans le cadre de l’étude PARADIGM-HF, mais rappelons qu’à ce moment, le traitement n’était pas encore approuvé. L’étude comportait donc de longues phases de préparation et un ajustement posologique prudent. En raison de ce protocole rigoureux, près de 20 % des patients sélectionnés ont quitté l’étude avant la répartition aléatoire.
Les principaux critères d’admissibilité à l’étude PIONEER-HF étaient l’hospitalisation pour insuffisance cardiaque au moment de la sélection, une fraction d’éjection ventriculaire gauche (FEVG) ≤ 40 %, un taux de NT-proBNP ≥ 1600 pg/mL et une stabilité hémodynamique définie par une tension artérielle systolique ≥ 100 mm Hg, aucun recours à un vasodilatateur ni aucune augmentation d’un diurétique administré par voie intraveineuse au cours des 6 heures précédentes, et aucun traitement inotrope au cours des 24 heures précédentes. Dans le groupe expérimental, les patients ont d’abord reçu l’une de deux associations à doses fixes, soit 24 mg de sacubitril et 26 mg de valsartan, ou 49 mg de sacubitril et 51 mg de valsartan. Les doses initiales dans le groupe énalapril étaient de 2,5 mg ou 5 mg. Le choix de la dose de départ dans les deux groupes reposait sur la tension artérielle systolique au moment de la répartition aléatoire. Tous les médicaments ont été administrés deux fois par jour. Des ajustements posologiques jusqu’à la dose cible ont ensuite été apportés en fonction d’un algorithme fondé sur la tension artérielle et les évaluations de l’investigateur.
Profil type du patient présentant une IC-FER admis dans l’étude PIONEER-HF
Les patients présentant une IC-FER admis dans l’étude PIONEER-HF avaient un profil particulier. Plus de 70 % d’entre eux avaient reçu un diagnostic d’insuffisance cardiaque de classe III ou IV selon la NYHA. Au départ, le taux médian de NT-proBNP s’établissait à 2283 pg/mL, la FEVG médiane, à 25 %, et le débit de filtration glomérulaire estimé (DFGe) médian, à 58,5 mL/min/1,73 m2. Les femmes représentaient près de 30 % de la population étudiée, et 36 % des participants étaient de race noire. L’indice de masse corporelle (IMC) médian était légèrement supérieur à 30.
La supériorité relative de l’association sacubitril-valsartan par rapport à l’énalapril a été constante dans toutes les strates évaluées, y compris le sexe, la race, les antécédents d’insuffisance cardiaque (oui ou non), un âge de 65 ans ou plus, la présence d’une insuffisance rénale (définie par un DFGe < 60 mL/min/1,73 m2), la gravité de l’insuffisance cardiaque et un taux relatif de NT-proBNP élevé (défini par une valeur > 2701 pg/mL) (Figure 4).
Le Dr Velazquez a confirmé que « les bienfaits de l’association sacubitril-valsartan ont été à peu près constants ». Il a précisé que les résultats de l’étude valident l’innocuité et l’efficacité des doses initiales et des schémas d’ajustement posologiques pour la mise en route d’un traitement par l’association sacubitril-valsartan en milieu hospitalier.
Aucune avancée récente dans le traitement de l’IC-FER en milieu hospitalier
Selon le Dr Allen, ces données s’inscrivent en contraste par rapport aux résultats d’un nombre considérable d’études antérieures auprès de patients hospitalisés pour une insuffisance cardiaque, qui n’ont pas réussi à démontrer à la fois l’innocuité et l’efficacité (parfois ni l’une ni l’autre) des traitements étudiés. Sur la période de plus de 20 ans pendant laquelle des études d’envergure ont démontré le bienfait de l’ajout d’IECA, de bêtabloquants et d’antagonistes des récepteurs des minéralocorticoïdes au traitement de référence de l’insuffisance cardiaque chez les patients ambulatoires, certaines autres études importantes, notamment les études ASCEND (nésiritide), EVEREST (tolvaptan) et RELAX (sérélaxine), n’ont pas réussi à confirmer des bienfaits chez les patients hospitalisés.
« Une étude comme PIONEER-HF qui montre des bienfaits chez les patients hospitalisés pour une insuffisance cardiaque était nécessaire », a expliqué le Dr Allen. Outre l’instauration plus rapide d’une protection contre les effets de l’activation neurohormonale et les processus qui engendrent la progression de l’insuffisance cardiaque, le Dr Allen croit que la mise en route d’un traitement par l’association sacubitril-valsartan avant le départ de l’hôpital permettra aussi une prise en charge plus efficace de l’insuffisance cardiaque.
« Quand le traitement de l’insuffisance cardiaque peut commencer durant l’hospitalisation, c’est plus facile pour le médecin d’instaurer le traitement que le patient devra poursuivre, et c’est plus facile pour le patient de recevoir dès le départ le traitement dont il a besoin. »
« Quand le traitement de l’insuffisance cardiaque peut commencer durant l’hospitalisation, c’est plus facile pour le médecin d’instaurer le traitement que le patient devra poursuivre, et c’est plus facile pour le patient de recevoir dès le départ le traitement dont il a besoin », a expliqué le Dr Allen, en ajoutant que « grâce à l’étude post-PIONEER, on peut faire les choses plus simplement ».
La mise en route du traitement à l’hôpital comporte des avantages
Le fait de garder les choses simples pourrait en outre se traduire par de meilleurs résultats; de fait, le Dr Allen a expliqué que les données recueillies aux États-Unis indiquent que moins de 15 % des patients présentant une IC-FER qui sont de bons candidats pour l’association sacubitril-valsartan reçoivent le traitement. La raison qui explique la faible adhésion à ce traitement malgré la vigueur des recommandations formulées dans les lignes directrices de la Société canadienne de cardiologie (SCC), de l’AHA et de la Société européenne de cardiologie (SEC) n’est pas claire, mais le Dr Allen soupçonne qu’il s’agit d’un cas d’« inertie clinique ». Il a remarqué que les lignes directrices, y compris celles de la SCC (Ezekowitz JA, et al. Can J Cardiol 2017;33:1342-1433), recommandent une période d’élimination de 36 heures avant de faire passer un patient d’un IECA à l’association sacubitril-valsartan, afin de prévenir l’œdème de Quincke. Bien que cette étape soit aussi nécessaire lorsque le traitement est mis en route en milieu hospitalier, son élimination du protocole de traitement en contexte externe pourrait lever l’obstacle qui retient certains médecins de franchir le pas.
« L’étude PIONEER-HF confirme que nous pouvons mettre en pratique dès le départ le traitement recommandé dans les lignes directrices. »
Le Dr Allen a ajouté que « l’étude PIONEER-HF confirme que nous pouvons mettre en pratique dès le départ le traitement recommandé dans les lignes directrices ». Ainsi, la stratégie demeure facile à exécuter.
L’étude PARADIGM-HF fournit la preuve que l’emploi d’un inhibiteur de la néprilysine avec un inhibiteur du système rénine-angiotensine (SRA) freine l’activation neurohormonale et offre une meilleure protection contre la progression de l’insuffisance cardiaque qu’un inhibiteur du SRA seul. L’étude PIONEER-HF fait quant à elle ressortir la tolérabilité de l’association sacubitril-valsartan et montre que des bienfaits cliniques peuvent en être tirés lorsque le traitement est mis en route dès que le patient est stable sur le plan hémodynamique.
Conclusion
Une étude clinique d’envergure qui démontre les bienfaits de la mise en route d’un traitement par l’association sacubitril-valsartan chez les patients présentant une IC-FER avant leur départ de l’hôpital devrait influer sur la norme de soins et donner lieu à une révision des lignes directrices. En établissant l’innocuité, la tolérabilité et l’efficacité du traitement en milieu hospitalier, l’étude permet de mettre en pratique un traitement dont on sait qu’il améliore les résultats. Même si les lignes directrices recommandent déjà ce traitement pour l’IC-FER en contexte ambulatoire, la mise en route du traitement par l’association sacubitril-valsartan durant l’hospitalisation, en plus de procurer d’autres avantages, simplifiera la prise en charge de l’IC-FER.