Cardiologie
Congrès de 2019 de la Société européenne de cardiologie (SEC)
L’étude phare DAPA-HF : une nouvelle méthode de traitement de l’insuffisance cardiaque
Paris – Une vaste étude multinationale à répartition aléatoire et contrôle placebo, intitulée DAPA-HF, a transformé le traitement type de l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection réduite (ICFEr) en révélant qu’un inhibiteur du cotransporteur sodium-glucose de type 2 jumelé aux soins types avait permis d’obtenir une baisse importante et significative du risque relatif (26 %) (RRI : 0,74; p =0,00001) lié au paramètre d’évaluation principal composé des décès d’origine cardiovasculaire (CV) et des hospitalisations ou consultations d’urgence pour cause d’insuffisance cardiaque (IC) ayant commandé un traitement intraveineux. L’ampleur de ce gain, qui rivalise avec celle constatée dans n’importe quel essai antérieur ayant porté sur un traitement contre l’IC, était similaire que les patients soient atteints de diabète de type 2 (DT2) ou non.
Lors de l’étude DAPA-HF, 4744 patients atteints d’ICFEr provenant de 20 pays, dont le Canada, ont été répartis aléatoirement de façon à recevoir de la dapagliflozine à 10 mg ou un placebo en plus des soins classiques opposés à cette maladie. Les critères d’admissibilité étaient, entre autres, les suivants : fraction d’éjection du ventricule gauche (FEVG) de 40 % au maximum, taux de NT-proBNP (fraction N-terminale du peptide natriurétique de type B) d’au moins 600 pg/mL et maladie de classe II ou plus selon la NYHA (New York Heart Association). Le DT2 n’en faisait pas partie, mais 42 % des patients recrutés avaient déjà reçu un diagnostic de cette affection qui a d’ailleurs été décelée chez 3 % des autres patients au moment de leur sélection, les 55 % restants en étant indemnes.
De nombreux experts présents au congrès de la SEC, dont le Dr John J. V. McMurray, Professeur de cardiologie à l’Université de Glasgow, au R.-U., et chercheur principal de l’étude DAPA-HF, ont affirmé qu’elle allait transformer la pratique clinique.
« Ce nouveau médicament contre l’insuffisance cardiaque est doté d’un mode d’action absolument novateur et marque le début d’une nouvelle ère dans le traitement de cette maladie ».
Réaction exceptionnelle de la part de la vaste assemblée, une ovation soutenue a salué la présentation des premiers résultats pendant la séance de la SEC consacrée aux études majeures (figure 1) et a forcé le Dr McMurray à s’interrompre avant de pouvoir poursuivre.
« Ce nouveau médicament contre l’insuffisance cardiaque est doté d’un mode d’action absolument novateur et marque le début d’une nouvelle ère dans le traitement de cette maladie », a renchéri un des intervenants invités par la SEC, le Dr Marco Metra, Chef de la Division de cardiologie de l’université de Brescia, en Italie. « C’est la première fois ici et maintenant que nous parlons des bienfaits d’un inhibiteur du SGLT2 dans un contexte totalement indépendant du diabète ».
Des baisses importantes et significatives
Les résultats obtenus au terme d’un suivi médian de 18,2 mois étaient solides. Seulement pour le paramètre rendant compte de l’aggravation de l’IC, qui comprenait notamment les hospitalisations, le risque relatif a en effet chuté de 30 % avec la dapagliflozine (RRI : 0,70; p = 0,00003). Quant aux décès d’origine CV, le risque a été réduit de 18 % (RRI : 0,82; p = 0,029). Pour ce qui est de la baisse relative des décès d’origine CV ou des hospitalisations motivées par une IC, un paramètre d’évaluation utilisé dans plusieurs études de grande envergure sur cette maladie, dont l’étude PARADIGM-HF, les chercheurs ont noté une réduction du risque de 25 % (RRI : 0,75; p = 0,0002). Ils ont également constaté une baisse des décès toutes causes confondues de 17 % donnant l’avantage à la dapagliflozine (RRI : 0,83; p = 0,022) (figure 2).
L’avantage relatif conféré par l’amorce d’un traitement par la dapagliflozine dans des cas d’ICFEr s’est reproduit dans les 14 sous-groupes définis dans le protocole de l’étude. Les sous-groupes les plus importants en regard de l’une des hypothèses clés de l’étude étaient ceux formés en fonction de la présence ou de l’absence de DT2. La réduction du risque relatif lié au paramètre d’évaluation principal s’élevait à 25 % (RRI : 0,75; IC à 95 % : de 0,63 à 0,90) chez les patients atteints de diabète et à 27 % (RRI : 0,73; IC à 95 % : de 0,60 à 0,88) (figure 3) chez ceux qui en étaient indemnes. La différence entre ces réductions et les intervalles de confiance n’est pas considérée comme importante.
Tous ses bienfaits se sont ajoutés à ceux « d’un excellent traitement opposé à l’insuffisance cardiaque ».
L’avantage qu’avait la dapagliflozine sur le placebo en ce qui a trait aux incidents liés à l’IC se voyait déjà à la fin du premier mois de traitement. Selon le Dr McMurray, tous ses bienfaits se sont ajoutés à ceux « d’un excellent traitement opposé à l’insuffisance cardiaque ». Les médicaments que presque tous les sujets prenaient au départ comprenaient un diurétique, un inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (ECA), un antagoniste des récepteurs de l’angiotensine (ARA), ou un inhibiteur de l’angiotensine allié à un inhibiteur de la néprilysine (ARNI) et un bêta-bloquant. Plus de 70 % des patients prenaient aussi un antagoniste des récepteurs minéralocorticoïdes.
Des bienfaits qui se surajoutent à ceux de l’ARNI
Comme l’étude DAPA-HF a commencé avant que l’ARNI ne devienne la norme dans le traitement de l’ICFEr grâce aux résultats de l’étude PARADIGM-HF, seulement 11 % des sujets prenaient déjà ce médicament. D’après le Dr McMurray, pour tenir compte de l’éventualité que ce traitement supplémentaire modifie l’effet de la dapagliflozine, les données de l’étude DAPA-HF recueillies dans ce sous-groupe imprévu au protocole ont été analysées de façon ponctuelle. Or, l’avantage de la dapagliflozine sur le placebo pour ce qui est du paramètre d’évaluation principal était encore là pratiquement identique, que les patients aient suivi un traitement par l’ARNI (RRI : 0,75) ou non (RRI : 0,74) (figure 4).
La dapagliflozine a été remarquablement bien tolérée au cours de cette étude et de celles menées précédemment sur des inhibiteurs du SGLT2, aucune différence n’ayant été notée entre le traitement actif et le placebo au chapitre du pourcentage global de sujets rapportant des effets indésirables. La proportion d’abandons motivés par un effet indésirable était comparable dans les deux groupes (4,7 % vs 4,9 %; p = 0,79) et les effets indésirables graves (38 vs 42; p < 0,001) ont été moins nombreux dans le groupe affecté à la dapagliflozine.
La raréfaction des événements brutaux liés à l’IC s’est aussi accompagnée d’améliorations de la qualité de vie (QdV), à preuve les résultats obtenus au questionnaire KCCQ (Kansas City Cardiomyopathy Questionnaire). Huit mois après le début de l’étude, le score des patients traités par la dapagliflozine avait grimpé de 6,1 points comparativement à 3,3 points chez les témoins, d’où un écart statistiquement significatif de 2,8 points (p < 0,001). La proportion de patients du groupe dapagliflozine ayant affiché une hausse d’au moins 5 points, ce qui est considéré comme appréciable sur le plan clinique, était significativement plus élevée que chez les témoins (58 % vs 51 %; p < 0,001), alors que la proportion de ceux ayant obtenu une baisse de la même ampleur était significativement plus faible (25 % vs 33 %; p < 0,001).
Un avantage certain pour la QdV
« Il se peut que ces chiffres ne semblent pas très impressionnants aux yeux de ceux qui ne connaissent pas bien ce type de données, mais je peux vous garantir que ces améliorations sont au moins aussi marquées que celles observées avec n’importe quel traitement antérieur opposé à l’insuffisance cardiaque », a assuré le Dr McMurray.
D’après le Dr Metra, si ces résultats sont si importants, c’est qu’ils confirment les avantages « d’un nouveau médicament doté d’un mode d’action absolument novateur » pour maîtriser l’ICFEr.
Cela dit, son mode d’action exact reste à éclaircir. Il est probable que certains des effets positifs obtenus tôt soient attribuables à l’action diurétique de l’inhibiteur du SGLT2, quoique le Dr Metra ait cité des études ayant montré qu’elle s’épuise au fil du temps. Or les courbes événementielles se sont continuellement éloignées au cours des deux années de l’étude DAPA-HF. Selon le Dr Metra, la persistance des effets positifs s’expliquerait par au moins une des conséquences présumées de l’inhibition du SGLT2, telles qu’un meilleur métabolisme du myocarde, des effets favorables sur les canaux ioniques cardiaques ou des effets favorables sur la fonction rénale.
« Une des choses qu’il faudra déterminer, c’est l’effet que ce traitement pourrait avoir chez les patients atteints d’ICFEp », a déclaré le Dr Metra, en faisant référence aux patients dont la fonction ventriculaire gauche est préservée, celle-ci étant habituellement définie par une FEVG de 50 % au minimum.
Efficacité d’un agent dirigé contre le DT2 chez les non-diabétiques
Le parcours de la dapagliflozine vers l’homologation de son indication contre l’IC chez les patients indemnes de DT2 aurait été difficile à prévoir il y a quelques années encore, lorsque le premier des essais portant sur l’innocuité des inhibiteurs du SGLT2 sur le plan cardiaque a été publié. Ces essais, qui avaient été commandés par la Food and Drug Administration des États-Unis, visaient au départ à confirmer l’absence de risques d’incidents CV supplémentaires. Or contrairement à ce qui s’était produit avec d’autres types d’antidiabétiques (p. ex., les thiazolidinediones), ils ont plutôt révélé que les inhibiteurs du SGLT2 avaient un effet cardioprotecteur.
La réduction du risque de maladie CV, principale cause de morbidité et de mortalité chez les patients atteints de DT2, étant d’une importance cruciale, ces résultats ont entraîné une réorientation des stratégies hypoglycémiantes axées sur la réduction de l’ensemble des risques cliniques. Les données issues des études EMPA-REG sur l’empagliflozine, CANVAS sur la canagliflozine et DECLARE-TIMI 58 sur la dapagliflozine ont toutes établi un parallèle entre l’inhibiteur du SGLT2 et une raréfaction des incidents cardiovasculaires majeurs, notamment l’infarctus du myocarde (IM) et le décès d’origine CV, chez les patients les plus exposés aux incidents CV. Cela dit, la protection conférée contre les incidents liés à l’IC, dont les hospitalisations et les décès d’origine CV, a été considérable même chez les patients diabétiques qui y étaient peu exposés. La réduction des incidents liés à l’IC obtenue dans l’ensemble de ces études se chiffrait à 30 % environ, même si la proportion de patients atteints d’IC au moment de leur recrutement y oscillait entre 10 et 15 % seulement.
Le Dr McMurray, à propos de l’étude DAPA-HF : « Ces études sur l’innocuité CV nous avaient appris que les inhibiteurs du SGLT2 peuvent prévenir l’insuffisance cardiaque chez les patients atteints de DT2, mais ce que nous voulions savoir, c’est s’ils peuvent être employés pour traiter des cas d’insuffisance cardiaque installée ».
Une utilité dépassant les attentes
Un traitement qui « abaisserait la glycémie et améliorerait l’issue de l’insuffisance cardiaque » est certes indispensable pour les patients atteints de DT2 en raison des lourdes conséquences qu’a l’IC chez ces patients, mais en vérifiant si l’aptitude des inhibiteurs du SGLT2 à protéger les patients atteints de DT2 contre l’IC permettrait de prévenir les hospitalisations motivées par cette maladie et les décès d’origine CV, que les patients soient diabétiques ou non, les chercheurs de l’étude DAPA-HF se sont penchés sur une hypothèse bien plus large. En fait, leur utilité a dépassé les attentes.
« La baisse du risque relatif et du risque absolu de décès et d’hospitalisation a été substantielle, importante sur le plan clinique et systématique dans tous les sous-groupes que nous avons évalués », a déclaré le Dr McMurray.
Forte de ses 17 160 patients, l’étude DECLARE-TIMI 58 a été la plus vaste qui ait été réalisée sur l’innocuité CV des inhibiteurs du SGLT2. Les deux tiers des patients satisfaisaient à ses critères d’admissibilité uniquement en raison de leurs facteurs de risque CV, ce qui la distinguait de l’étude EMPA-REG où les patients devaient avoir des antécédents de maladie CV pour y être admis, et de l’étude CANVAS, dont l’effectif comprenait aussi une forte proportion de patients déjà atteints de ce type d’affections. Même si seulement 10 % environ des sujets de l’étude DECLARE-TIMI 58 souffraient d’IC au moment de leur recrutement, une analyse de sous-groupe effectuée chez ceux affichant une ICFEr a établi un lien entre la dapagliflozine et une diminution de 41 % (RRI : 0,59) des décès toutes causes confondues dans cette population.
« La baisse du risque relatif et du risque absolu de décès et d’hospitalisation a été substantielle, importante sur le plan clinique et systématique dans tous les sous-groupes que nous avons évalués. »
L’étude DECLARE-TIMI 58 a pavé la voie à l’étude DAFA-HF
Pendant l’étude DECLARE-TIMI 58, la réduction relative des résultats obtenus pour le paramètre d’évaluation principal (hospitalisations motivées par l’IC et décès d’origine CV) chez les patients atteints d’ICFEr était deux fois plus marquée (RRI : 0,62) que celle enregistrée dans l’ensemble de l’effectif (RRI : 0,83). Ces résultats laissaient entrevoir les bienfaits que l’étude DAPA-HF a permis de constater chez les patients atteints de DT2, mais c’est l’effet tout aussi solide documenté chez les patients indemnes de DT2 qui explique qu’ils aient été qualifiés de « révolutionnaires » pour le traitement de l’ICFEr en général.
« La dapagliflozine fait tout ce que nous pourrions espérer d’un nouveau médicament contre l’insuffisance cardiaque. Elle raréfie les hospitalisations, prolonge la survie et atténue les symptômes, soit les trois grands objectifs du traitement, a affirmé le Dr McMurray, qui a mentionné que le nombre de patients à traiter pour que les cas d’aggravation de l’IC et des décès d’origine CV diminuent n’est que de 21. C’est le seul traitement efficace contre l’insuffisance cardiaque des 10 dernières années qui n’ait pas un mode d’action neurohormonal et le premier des 5 dernières années qui permette de réduire la mortalité », a-t-il ajouté.
« La dapagliflozine fait tout ce que nous pourrions espérer d’un nouveau médicament contre l’insuffisance cardiaque : elle raréfie les hospitalisations, prolonge la survie et atténue les symptômes. »
En qualifiant les résultats de l’étude DAPA-HF de « nouvelle ère dans le traitement de l’IC », le Dr Metra pensait également aux quelque 20 études menées sur des inhibiteurs du SGLT2 dont le rôle serait susceptible de s’élargir, notamment l’étude DELIVER qui servira à évaluer l’effet de la dapagliflozine chez des patients atteints d’ICFEp et l’étude DAPA-CKD, qui vise à vérifier l’effet de cet agent sur les paramètres rénaux et la mortalité d’origine CV chez des patients aux prises avec une néphropathie chronique.
Conclusion
L’étude phare DAPA-HF a transformé les soins types prodigués aux patients atteints d’ICFEr. L’aggravation réduite des incidents liés à l’IC s’est accompagnée d’une baisse significative des décès d’origine CV qui n’était pas significativement différente, que les patients soient diabétiques ou non. Non seulement les bienfaits de la dapagliflozine étaient-ils aussi prononcés, sinon plus que ceux des autres agents ayant fait leurs preuves dans le traitement de l’IC, mais ils se sont additionnés à ceux de ces agents, dont un ARNI. Les courbes événementielles continuaient de s’éloigner à la fin des deux années qu’a duré cette étude. Les experts réunis au congrès de la SEC, y compris l’intervenant invité, voient en ses résultats un moteur de changement de la pratique clinique.