Oncologie
Congrès de 2021 de la Société européenne de médecine interne cancérologique (ESMO)
Essai MONALEESA-2 : l’inhibiteur de CDK4/6 permet de prolonger la survie globale dans des cas de cancer du sein avancé
Réunion en ligne – Selon les résultats obtenus pour la survie globale (SG) lors de l’essai de phase III MONALEESA 2 présentés sous forme d’abrégé de dernière minute au congrès de 2021 de l’ESMO, un inhibiteur de la CDK4 et de la CDK6 a permis de prolonger d’une année environ la survie de femmes ménopausées atteintes d’un cancer du sein avancé exprimant des récepteurs hormonaux, mais pas le récepteur 2 du facteur de croissance épidermique humain (RH+/HER2-) après avoir été employé en première intention avec un inhibiteur de l’aromatase. Or c’est la première fois qu’un traitement utilisé en première intention permet de prolonger la SG en pareil cas.
Les inhibiteurs de la CDK4 et de la CDK6 sont très utilisés dans cette indication et avec raison compte tenu des études déjà publiées qui ont révélé leur effet positif sur la survie sans progression (SSP) comparativement à un inhibiteur de l’aromatase employé seul. Cela dit, la prolongation de la SG, un jalon important, fait en sorte que le ribociclib, un inhibiteur de la CDK4 et de la CDK6, allié au létrozole, un inhibiteur de l’aromatase, est désormais la norme thérapeutique en plus de constituer une percée majeure. Il est rare qu’un traitement de première intention opposé au cancer du sein permette de prolonger la SG en raison de l’effet dilutif des traitements administrés par la suite. L’essai MONALEESA-2 montre qu’on peut prolonger la survie en amorçant le traitement avec du ribociclib allié au létrozole, indépendamment des traitements ultérieurs.
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Une première : une survie globale de plus de 5 ans
« C’est la première fois qu’on fait état d’une survie médiane de plus de 5 ans chez des femmes ménopausées atteintes d’un cancer du sein RH+/HER2– avancé », a rapporté le clinicien-chercheur principal, le Dr Gabriel N. Hortobagyi, professeur d’oncologie, au Centre de traitement du cancer MD Anderson, de l’Université du Texas, à Houston (Figure 1).
« C’est la première fois qu’on fait état d’une survie médiane de plus de 5 ans. »
Lors de l’essai multinational à double insu MONALEESA-2, 668 femmes ménopausées atteintes d’un cancer du sein RH+/HER2– avancé ont été réparties aléatoirement en deux groupes de façon à recevoir du ribociclib ou un placebo en plus du létrozole. La maladie avait été diagnostiquée depuis peu chez environ le tiers d’entre elles, alors qu’elle avait récidivé chez les autres. Aucune patiente n’avait encore reçu de traitement à action générale. Ces agents ont été pris par voie orale selon des cycles de 3 semaines entrecoupés d’une semaine sans médicament, et ce jusqu’à ce que la maladie évolue. Presque toutes les patientes étaient atteintes d’un cancer du sein de stade IV; la plupart affichaient un indice fonctionnel ECOG de 0 et aucune n’avait un indice supérieur à 1.
Les données sur la SG reposent sur le gain conséquent observé pour la SSP lors de l’essai MONALEESA-2 qui a fait l’objet d’une publication il y a près de 5 ans (Hortobagyi, G.N. et al. N Engl J Med 2016;375:1738-1748). Ce gain a mené à l’homologation du ribociclib, un parallèle entre le ribociclib allié au létrozole et une baisse de 44 % du risque d’évolution de la maladie ou de décès par rapport au létrozole jumelé à un placebo ayant été établi (RRI : 0,56; p = 3,29 x 10-6).
Les autres inhibiteurs de la CDK4 et de la CDK6 n’exercent pas un effet aussi favorable sur la SG
Le ribociclib et les autres inhibiteurs de la CDK4 et de la CDK6 ont été homologués pour d’autres indications liées au cancer du sein depuis, mais le ribociclib reste le seul qui ait permis d’objectiver une prolongation de la survie chez des femmes ménopausées traitées en première intention. Jusqu’à présent, seule la SSP s’est améliorée dans le cadre des essais PALOMA‑2 (Finn, R.S. et al. N Engl J Med 2016;375:1925-1936) et MONARCH-3 (Goetz, M.P. et al. J Clin Oncol 2017;35:3638-3646) menés respectivement avec le palbociclib et l’abémaciclib.
Non seulement le gain de 24 % (p = 0,004) obtenu pour la survie en jumelant le ribociclib et l’inhibiteur de l’aromatase est-il appréciable, mais il s’est amplifié au fil du temps (Figure 2). Ces gains étaient toujours observés 2 ans environ après la répartition aléatoire, moment où les courbes de la survie s’éloignent l’une de l’autre, même si à peu près 90 % des patientes des deux groupes avaient reçu d’autres anticancéreux par la suite, 34,9 % des témoins ayant entre autres pris un inhibiteur de la CDK4 et de la CDK6.
De nouvelles données qualifiées de « transformatrices »
Le Dr Gonzalo Gómez Abuin, du Service d’oncologie de l’hôpital Alemán, de Buenos Aires, en Argentine, et intervenant invité par l’ESMO s’est dit impressionné par cette constance. Il a d’ailleurs qualifié le ribociclib allié au létrozole de traitement « transformateur » en insistant sur le fait qu’il a permis de prolonger la survie médiane au-delà de 5 ans chez des patientes atteintes de ce type de cancer du sein avancé.
Même s’il a fallu attendre jusqu’à tout récemment pour que la prolongation de la survie globale obtenue avec le ribociclib et le létrozole soit objectivée, le Dr Gómez Abuin s’est félicité que les organismes de réglementation aient homologué le ribociclib à la lumière du gain considérable enregistré pour la SSP, qu’il voit comme un paramètre important et valable pour une maladie contre laquelle il existe de nombreuses options thérapeutiques à employer en deuxième intention. Nous savons maintenant que l’association formée de ribociclib et de létrozole a permis de sauver la vie de femmes ménopausées aux prises avec un cancer du sein avancé des vies depuis son homologation en 2017.
« Nous devons nous demander combien de femmes auraient été privées des bienfaits de ce traitement s’il avait fallu attendre d’avoir des données moins fragmentaires pour homologuer le ribociclib. »
« Nous devons nous demander combien de femmes auraient été privées des bienfaits de ce traitement s’il avait fallu attendre d’avoir plus de recul pour homologuer le ribociclib », a-t-il déclaré (Figure 3).
Un des avantages de ce traitement est qu’il permet d’éviter les injections ou les perfusions, puisque le ribociclib et le létrozole sont tous les deux pris par voie orale. Qui plus est, le ribociclib a fait preuve d’une bonne tolérabilité pendant l’essai MONALEESA-2 et dans les autres contextes cliniques où il a été essayé. Bien qu’il ne soit pas dépourvu d’effets indésirables, notons que ceux de grade 3 ou plus sont majoritairement de nature hématologique (p. ex., neutropénie et leucopénie). Ces cytopénies, qui sont généralement asymptomatiques, ont surtout été vues pendant les premières semaines de traitement. Durant les 18 premiers mois de l’essai, les infections ont à peine plus fréquentes dans le groupe ribociclib (50,3 % vs 42,4 %).
Aucun nouveau signe alarmant du côté de l’innocuité pendant le suivi de longue durée
Le Dr Hortobagyi a déclaré n’avoir rien relevé de nouveau en matière d’innocuité, qui puisse être alarmant. Selon les résultats publiés, les effets indésirables non hématologiques de grade 3 ou plus les plus répandus étaient les suivants : vomissements (3,6 % vs 0 %), nausées (2,4 % vs 0 %) et fatigue (2,1 % vs 0 %). Aucun des autres, hormis une hausse des taux d’enzymes hépatiques, ne s’est produit chez plus de 1 % des patientes. Le suivi beaucoup plus long mené pour collecter des données sur la SG montre que les effets indésirables importants sont restés peu fréquents.
« Ces traitements sont ordinairement bien tolérés, comme nous avons pu le constater au cours du suivi de longue durée », a confirmé le Dr Hortobagyi.
L’efficacité et l’innocuité du ribociclib ont été démontrées chez d’autres types de patientes atteintes d’un cancer du sein avancé. Les résultats de l’essai de phase III MONALEESA-3 publiés il y a 18 mois (Slamon, D.J. et al. N Engl J Med 2020;382:514-524) font état d’un gain similaire pour la SG chez des patientes ayant reçu du ribociclib ou un placebo en plus du fulvestrant, un antagoniste des récepteurs des œstrogènes non agoniste utilisé comme traitement de fond. Des femmes atteintes d’une forme avancée de cancer du sein RH+/HER2– y ont été recrutées, mais aussi des patientes qui avaient été traitées antérieurement ou qui avaient fait une rechute dans les 12 mois suivant la fin d’une hormonothérapie adjuvante ou néoadjuvante.
« Ces traitements sont ordinairement bien tolérés, comme nous avons pu le constater au cours du suivi de longue durée. »
Prolongation de la survie globale au cours des essais MONALEESA-3 et MONALEESA-7
Selon les résultats de cet essai publiés précédemment, le ribociclib allié au fulvestrant a permis de pratiquement doubler la SSP comparativement au placebo jumelé au fulvestrant (20,5 vs 12,8 mois), d’où une baisse du risque de progression ou de décès de 41 % (RRI : 0,59; p < 0,001) (Slamon, D.J. et al. J Clin Oncol 2018;36:2465-2472). D’après les données sur la survie actualisées, la SG médiane n’a toujours pas été atteinte dans le groupe ribociclib-fulvestrant, alors qu’elle a été de 40,0 mois dans le groupe placebo-fulvestrant, soit une réduction du risque de décès de 28 % (RRI : 0,72; p = 0,00455).
Le gain enregistré pour la SG lors de l’essai MONALEESA-3, qui se compare à celui observé durant l’essai MONALEESA-2, a pu être prouvé même si la plupart des patientes ont reçu d’autres traitements par la suite. Par exemple, 25,4 % des patientes originalement affectées au groupe témoin ont reçu un inhibiteur de la CDK4 et de la CDK6. Comme ce fut le cas pendant l’essai MONALEESA-2, l’association formée de ribociclib et d’un inhibiteur de l’aromatase a été bien tolérée. Encore là, les effets indésirables de grade 3 ou plus étaient essentiellement de nature hématologique, rien de nouveau ni d’alarmant ne s’étant manifesté au chapitre de l’innocuité pendant le suivi de la SG de longue durée.
Les chercheurs de l’essai MONALEESA-7 ont aussi noté un gain pour la survie de patientes atteintes d’un cancer du sein avancé ayant reçu du ribociclib et une hormonothérapie en première intention. Cet essai était réservé aux patientes en préménopause ou en périménopause atteintes d’un cancer du sein RH+/HER2– locorégional récidivant ou métastatique. Elles ont été affectées aléatoirement au ribociclib ou à un placebo; elles ont reçu en plus de la goséréline et soit du tamoxifène, soit un inhibiteur de l’aromatase non stéroïdien (létrozole ou anastrozole).
Dans la foulée de la prolongation de la SSP obtenue avec le ribociclib allié à une hormonothérapie par rapport à l’hormonothérapie utilisée seule et ayant fait l’objet d’une première publication (Tripathy, D. et al. Lancet Oncol 2018;19:904-915), une analyse subséquente a fait ressortir une baisse du risque de décès de 29 % (RRI : 0,71; p = 0,00973) avec cette association (Im, S.A. et al. N Engl J Med 2019;381:307-316).
Validation d’associations à utiliser d’emblée
Ces trois essais confirment l’intérêt qu’il y a à intégrer le ribociclib à un schéma de première intention. Lors de l’essai MONALEESA-7 et des autres essais de cette série d’ailleurs, la plupart des patientes ont reçu d’autres traitements par la suite, une forte proportion d’entre elles ayant pris un inhibiteur de la CDK4 et de la CDK6. Le calcul du temps écoulé avant le recours à un traitement de deuxième intention pendant l’essai MONALEESA-7 a mis au jour un report du risque significatif de 31 % (RRI : 0,69) chez les patientes ayant reçu du ribociclib d’emblée. Les analyses de l’innocuité réalisées dans le cadre de l’essai MONALEESA-7 ont aussi confirmé le risque relativement faible d’effets indésirables et une tolérabilité acceptable pendant le traitement au long cours.
Les inhibiteurs de la CDK4 et de la CDK6 comportent des différences susceptibles d’avoir leur importance pour l’effet clinique et l’innocuité.
Les inhibiteurs de la CDK4 et de la CDK6 n’ont pas encore été comparés directement, mais leurs différences risquent d’entrer en jeu dans l’effet clinique qu’ils exercent et leur innocuité. Les différences ayant trait à leur lipophilie, leur liaison aux récepteurs, leur sélectivité pour les kinases autres que la CDK4 et la CDK6 et leur demi-vie portent à croire que ces agents ne sont pas interchangeables. Des comparaisons entre plusieurs études ont révélé la variabilité de la fréquence des effets toxiques et de la nature de ces derniers (George, M.A. et al. Front Oncol. 2021;11:693104) même si la SSP enregistrée dans leurs effectifs comparables était similaire d’une étude à l’autre. Cela dit, même si le palbociclib a été le premier inhibiteur de la CDK4 et de la CDK6 à avoir été homologué pour le traitement du cancer du sein avancé, ni lui ni l’abémaciclib n’a encore permis d’obtenir une prolongation statistiquement significative de la SG lorsqu’ils sont utilisés en première intention chez des femmes ménopausées.
Les inhibiteurs de la CDK4 et de la CDK6 ne se ressemblent pas forcément
Selon le Dr Hortobagyi, il ne faut pas présumer que les autres agents de cette classe permettent eux aussi de prolonger la SG comme l’a fait le ribociclib pendant ces trois essais où il a été intégré à un traitement de première intention du cancer du sein avancé. Il a ajouté qu’il faudra réaliser des essais comparatifs pour le vérifier. Fort de sa longue expérience comme clinicien-chercheur dans le domaine du cancer du sein, il a souligné que les résultats des essais MONALEESA sont à la fois une rareté et une avancée majeure.
« Nous avons maintes et maintes fois observé une prolongation de la SSP, mais une prolongation de la SG, ça c’est rare. »
« Nous avons maintes et maintes fois observé une prolongation de la SSP, mais une prolongation de la SG, ça c’est rare parce que les patientes reçoivent de 4 à 15 types de traitement au cours de leur maladie, ce qui dilue l’effet du premier traitement, a‑t-il affirmé ». En revanche, nous disposons aujourd’hui de données probantes montrant que l’ajout d’un inhibiteur de la CDK4 et de la CDK6 en première intention permet de prolonger la vie indépendamment des traitements ultérieurs.
Conclusion
Les résultats obtenus pour la SG pendant l’essai MONALEESA-2 ont établi une nouvelle norme de soin pour le traitement de première intention des femmes ménopausées atteintes d’un cancer du sein RH+/HER2–. Les données en effet dressé un parallèle entre l’association formée de ribociclib, un inhibiteur de la CDK4 et de la CDK6, et d’un inhibiteur de l’aromatase et une année de vie supplémentaire en moyenne, d’où une survie moyenne dépassant les 5 ans — du jamais vu dans cette population. Pendant la période de suivi, le ribociclib et le létrozole, deux agents à prise, ont généralement été bien tolérés.