oncologie
Le 35e congrès de la Société européenne de médecine interne cancérologique (ESMO)
Les dernières avancées dans la prévention et la maîtrise des nausées et des vomissements provoqués par la chimiothérapie
Milan – Les trente dernières années ont été le théâtre de pas de géant dans le traitement des nausées et des vomissements provoqués par la chimiothérapie. Alors qu’en 1980, on arrivait à les maîtriser dans 10 % des cas tout au plus, on réussit à faire passer ce taux entre 75 et 85 % aujourd’hui. Il n’en demeure pas moins que beaucoup de patients cancéreux doivent endurer sans raison des accès de vomissements parce qu’ils n’ont pas reçu un traitement prophylactique convenable. Si les nausées sont une complication des cycles de chimiothérapie encore plus fréquente que les vomissements, c’est parce qu’on a fait plus de progrès dans la lutte contre ces derniers. Avec l’arsenal thérapeutique dont ils disposent maintenant, les cliniciens ont les moyens d’éliminer les nausées et les vomissements provoqués par la chimiothérapie, un objectif qui devrait être visé chez tous les patients cancéreux qui doivent subir une chimiothérapie. Or il est possible d’y parvenir en respectant les lignes directrices cliniques. Dans les versions les plus récentes, on met davantage l’accent sur l’utilisation des inhibiteurs des récepteurs de la NK1 à titre d’élément essentiel des stratégies destinées à prévenir et à maîtriser les nausées et les vomissements provoqués par la chimiothérapie chez les patients cancéreux.
Il est possible d’éliminer les nausées et les vomissements provoqués par la chimiothérapie
Au congrès de l’ESMO de cette année, le docteur Richard Gralla, Professeur de médecine, à la Hofstra University, North Shore-LIJ, Lake Success, New York, a affirmé que les cliniciens devraient se fixer des objectifs plus ambitieux en matière de lutte contre les nausées et les vomissements provoqués par la chimiothérapie. « Nous ne devons tout simplement pas les tolérer. Nous disposons des moyens de les éliminer et nous devons nous y employer chez tous nos patients qui reçoivent des traitements de chimiothérapie moyennement ou fortement émétisants », a-t-il ajouté. Pour y parvenir, il faut tout d’abord que la perception des cliniciens corresponde à la réalité des patients.
Une étude ayant servi à comparer le vécu des patients avec les prévisions des médecins et des infirmières quant à l’effet émétisant de la chimiothérapie a été très révélatrice à ce sujet (Grunberg, et al. Cancer, 2004; 100(10): 2261-2268). En effet, il en ressort que les perceptions correspondaient à la réalité pour ce qui est des nausées et des vomissements survenant tout de suite après les traitements. En revanche, les patients ont rapporté deux fois plus de problèmes de nausées et de vomissements à distance des traitements que ce à quoi les cliniciens s’attendaient (52 % vs 24 % pour les nausées et 28 % vs 15 % pour les vomissements) (Graphique 1).
La deuxième étape vers l’élimination des nausées et des vomissements provoqués par la chimiothérapie consiste à utiliser de manière optimale les agents antiémétiques offerts, notamment ceux appartenant aux trois grandes classes suivantes : les corticostéroïdes, les antagonistes des récepteurs 5-HT3 de la sérotonine et les inhibiteurs des récepteurs de la neurokinine (NK1)/substance P.
Le traitement antiémétique optimal repose sur l’utilisation de la meilleure dose de chacun des agents employés, alliée à la reconnaissance et à l’observance des schémas posologiques les plus efficaces et les plus pratiques.
Selon les explications du docteur Gralla, le traitement antiémétique optimal repose sur l’utilisation de la meilleure dose de chacun des agents employés, alliée à la reconnaissance et à l’observance des schémas posologiques les plus efficaces et les plus pratiques.
Le rôle persistant des corticostéroïdes
« Même après des dizaines d’années d’utilisation, les corticostéroïdes demeurent un élément prépondérant dans le traitement des vomissements », a affirmé le docteur Gralla. L’intérêt de cette classe de médicaments a été démontré dans le cadre d’une métaanalyse publiée il y a plus de dix ans. Les auteurs ont étudié les essais cliniques réalisés avec répartition aléatoire des sujets et ayant servi à comparer l’efficacité d’antagonistes des récepteurs 5-HT3 de la sérotonine utilisés seuls contre les vomissements se produisant à brève échéance à celle de ces mêmes médicaments, mais employés en association avec de la dexaméthasone. Il est ressorti de cet examen que les associations médicamenteuses composées d’antagonistes des récepteurs 5-HT3 et de dexaméthasone avaient permis d’obtenir des résultats supérieurs dans tous les essais examinés, ce qui s’est traduit par une réduction globale extrêmement significative sur le plan statistique (p < 0,00001) de 53 % du risque relatif approché (odds ratio) en faveur de ces associations (Jantunen IT, et al. Eur J Cancer. 1997;33:66-74).
Plus récemment, l’effet de la dexaméthasone sur les vomissements retardés a été étudié dans le cadre d’un essai clinique réalisé avec contrôle placebo et répartition aléatoire des sujets. Pour ce faire, on a comparé le palonosétron, un antagoniste des récepteurs 5-HT3 de la sérotonine, utilisé en monothérapie ou en association avec ce corticostéroïde chez des femmes atteintes d’un cancer du sein métastatique traité à l’aide de schémas chimiothérapiques moyennement émétisants (Aapro M., et al. Ann Oncol. 2010;21:1083-1088). Toutes les patientes ont reçu les deux agents le 1er jour, puis ont été réparties au hasard de manière à recevoir une dose réduite de dexaméthasone ou un placebo les 2e et 3e jours.
« Les chercheurs n’ont noté aucune différence significative pour ce qui est du taux de réponse complète ou d’élimination des vomissements à brève échéance ou à distance, a déclaré le docteur Gralla. Toutefois, ils ont constaté une tendance vers une meilleure maîtrise des vomissements à distance dans le groupe ayant reçu de la dexaméthasone. »
Les récepteurs 5-HT3 dans la mire
Les antagonistes des récepteurs 5-HT3 de la sérotonine, dont l’affinité pour les récepteurs de la sérotonine va de 7,6 pKi (dolasétron) à 10,4 pKi (palonosétron), offrent aux cliniciens de nombreuses possibilités. Selon le docteur Gralla, les résultats des essais ayant servi à comparer des agents employés en monothérapie portent à croire que le palonosétron, un nouvel agent, permettrait d’obtenir une meilleure maîtrise des nausées et des vomissements provoqués par la chimiothérapie. Cela dit, on ignorait quelle pouvait être l’efficacité relative des antagonistes des récepteurs 5-HT3 de la sérotonine en association avec la dexaméthasone, du moins jusqu’à la publication dernièrement des résultats d’un essai clinique réalisé avec répartition aléatoire d’un grand nombre de sujets (Gralla, R, Raftopoulos, H. Lancet Oncol. 2009;10:115-124).
Ont pris part à cet essai 1114 patients cancéreux recevant une chimiothérapie reposant sur l’utilisation de cisplatine ou de doxorubicine (ou d’épirubicine) alliée au cyclophosphamide. Ils ont été répartis au hasard de manière à recevoir un traitement antiémétique par une des associations suivantes : palonosétron et dexaméthasone ou granisétron et dexaméthasone. Les critères d’évaluation principaux étaient la réponse complète (aucun vomissement ni aucune prise de médicament de secours) à brève échéance (de 0 à 24 heures) et à distance (de 24 à 120 heures).
Les deux schémas chimiothérapiques ont produit des taux de réponse complète de 75 % environ à brève échéance, mais celui fondé sur l’utilisation du palonosétron a permis d’obtenir un taux de réponse complète significativement plus élevé à distance (56,8 % vs 44,5 %; p = 0,0001) comparativement au produit pris par les témoins (51,5 % vs 40,4 %; p = 0,0001).
L’inhibition des récepteurs de la NK1 permet d’obtenir une meilleure maîtrise
De l’avis du docteur Gralla, l’ajout des inhibiteurs de la NK1 à l’arsenal de médicaments antiémétiques apporte aux cliniciens un nouvel outil puissant pour lutter contre les nausées et les vomissements provoqués par la chimiothérapie et pour améliorer la qualité de vie des patients cancéreux. Les études réalisées à l’aide de la tomographie par émission de positons ont démontré l’occupation quasi totale (proche de 100 %) des récepteurs de la NK1 après l’administration d’une seule dose d’aprépitant (Hargreaves R. ,J Clin Psychiatry. 2002;63(suppl.11):18-24).
Ce médicament a fait preuve d’un effet antiémétique considérable et les lignes directrices cliniques le recommandent comme composante des traitements préventifs types, a affirmé le docteur Gralla. L’intérêt de l’aprépitant a été démontré lors d’un essai clinique de phase III ayant servi à comparer un traitement antiémétique fondé sur l’utilisation d’ondansétron et de dexaméthasone avec ou sans aprépitant chez 1043 patients cancéreux recevant une chimiothérapie à base de cisplatine (Hesketh PJ, et al. J Clin Oncol. 2003;21:4112-4119). Une amélioration significative des taux de réponse complète au chapitre des vomissements à brève échéance (86 % vs 73 %; p < 0,001) et des vomissements à distance (72 % vs 51 %; p < 0,001) est en effet ressortie de cet essai.
« Une amélioration de 50 % de la maîtrise des vomissements à distance est vraiment impressionnante », a fait valoir le docteur Gralla. En outre, ce sont particulièrement les femmes, qui ont tendance à être plus sensibles aux effets émétisants de la chimiothérapie et à réagir moins favorablement aux traitements antiémétiques classiques qui ont bénéficié des effets positifs de l’aprépitant. Une analyse des essais cliniques réalisés avec répartition aléatoire des sujets a révélé que les taux de maîtrise des vomissements à brève échéance et des vomissements à distance étaient similaires chez les hommes et chez les femmes recevant des traitements renfermant de l’aprépitant. En revanche, les femmes des groupes témoins ont obtenu des taux de réponse complète beaucoup plus faibles (Hesketh PJ, et al. Support Care Cancer. 2006;14:354-360) (Graphique 2).
Traitement factuel
La recherche de moyens pour éliminer complètement les nausées et les vomissements provoqués par la chimiothérapie a récemment donné lieu à l’évaluation clinique de l’association formée de palonosétron, de dexaméthasone et d’aprépitant chez les patients recevant en première intention une chimiothérapie fondée sur l’anthracycline (Grunberg SM, et al. Support Care Cancer. 2009;17:589-594). Les résultats ont révélé qu’aucun patient n’avait connu d’accès de vomissements à brève échéance et que le taux de patients pris de vomissements à distance avait été de 5 %. Les résultats correspondants pour les nausées se chiffraient à 78 % et à 68 %, respectivement. Dans l’ensemble, 95 % des patients n’ont connu aucun accès de vomissements durant les cinq journées de suivi et 66 % des sujets ont été indemnes de nausées.
D’après le docteur Gralla, les progrès réalisés dans la prise en charge des nausées et des vomissements provoqués par la chimiothérapie ont attiré énormément d’attention pour les diverses lignes directrices cliniques. Une comparaison effectuée dernièrement entre les pratiques cliniques en usage avant et après la mise en place des recommandations relatives aux traitements antiémétiques publiées par la Multinational Association of Supportive Care in Cancer, a nettement mis en lumière les avantages que comporte l’adoption des lignes directrices cliniques (Proc MASCC, 2009). La version la plus récente de ces lignes directrices souligne la diminution de l’utilisation des antagonistes des récepteurs 5-HT3 dans la prise en charge des accès de vomissement à distance, de même que le recours accru aux corticostéroïdes et à l’aprépitant.
Une enquête menée auprès de 100 cliniciens a montré que le taux de maîtrise totale des nausées et des vomissements chez les patients recevant une chimiothérapie à base de cisplatine ou d’oxaliplatine se situait entre 53 et 54 % avant l’adoption des lignes directrices de la MASCC. Or il est passé à plus de 80 % après que les cliniciens eurent commencé à suivre ces recommandations (Tableau 1).
Une analyse économique a effectivement démontré que l’adoption des lignes directrices a généré des coûts équivalents, voire inférieurs, à ceux des pratiques en vigueur avant leur adoption.
« La question est de savoir si nous allons pratiquer une médecine factuelle ou non. Nous disposons des moyens nécessaires pour éliminer les nausées et les vomissements provoqués par la chimiothérapie. Pourquoi voudrions-nous que la qualité de vie de nos patients ait à souffrir des effets de ces réactions indésirables ? La non-utilisation des traitements antiémétiques ne se justifie pas sur le plan économique. Une analyse économique a effectivement démontré que l’adoption des lignes directrices a généré des coûts équivalents, voire inférieurs, à ceux des pratiques en vigueur avant leur adoption. Par ailleurs, des études ont révélé que les associations d’agents antiémétiques efficaces comprenant un inhibiteur des récepteurs de la NK1 ont un effet nul sur les coûts et pourraient même permettre de réaliser des économies. Il se peut que grâce aux traitements prophylactiques dirigés contre les nausées et les vomissements provoqués par la chimiothérapie, nous n’ayons pas besoin d’avoir recours plus tard à des médicaments beaucoup plus chers comme les facteurs de croissance », a déclaré le docteur Gralla.
Résumé
Pour conclure, le docteur Gralla a ajouté : « Le traitement antiémétique reste au centre des soins opposés au cancer. En maîtrisant efficacement les nausées et les vomissements provoqués par la chimiothérapie, on préserve la qualité de vie des patients, on peut traiter ces derniers en clinique externe en toute sûreté, on peut atténuer ou éliminer les symptômes et les effets indésirables, et enfin on peut accroître l’utilisation des agents anticancéreux les plus efficaces. La présence de nouveaux agents antiémétiques sur le marché et les essais cliniques menés récemment nous portent à croire qu’il est possible de combattre beaucoup mieux les vomissements à brève échéance et les vomissements à distance. Cette plus grande maîtrise est concevable grâce à la mise au point d’agents qui ciblent des récepteurs expressément impliqués dans le vomissement et à l’adoption des recommandations des lignes directrices cliniques mettant l’accent sur des stratégies factuelles visant à prévenir les nausées et les vomissements provoqués par la chimiothérapie ».