cardiologie
Congrès canadien de médecine cardiovasculaire de 2015
Débat sur les lignes directrices nord-américaines sur le cholestérol et le rôle des inhibiteurs de la PCSK9
Toronto – Les objectifs fixés pour le cholestérol des lipoprotéines de basse densité (C-LDL) lors du traitement des dyslipidémies ne sont pas les mêmes dans les lignes directrices états-uniennes et canadiennes. Au congrès canadien de médecine cardiovasculaire de 2015, un expert des États-Unis et ses homologues canadiens ont discuté de la meilleure façon d’établir les objectifs d’après les essais comparatifs à répartition aléatoire. Ce débat arrive à point nommé, les objectifs thérapeutiques, notamment chez les patients très vulnérables, étant plus souvent atteints avec des inhibiteurs de la PCSK9 qu’avec les options qui les ont précédés. L’établissement des objectifs en fonction du risque est une étape essentielle vers le but ultime : réduire la morbidité et la mortalité d’origine cardiovasculaire.
Contexte
Les essais cliniques à répartition aléatoire révèlent que la réduction des concentrations de C-LDL se traduit par une raréfaction des incidents cardiovasculaires (CV). Cela dit, la concentration à laquelle le risque ne peut être abaissé davantage n’a jamais été déterminée et les recommandations des lignes directrices états-uniennes et canadiennes divergent à ce chapitre. Aux États-Unis, les lignes directrices ne préconisent aucune valeur cible précise, mais plutôt des réductions relatives des concentrations de C-LDL par rapport aux valeurs préthérapeutiques à la lumière de plusieurs facteurs de risque. Au Canada, on vise un taux inférieur à 2,0 mmol/L ou une baisse de 50 % ou plus chez les patients très vulnérables par rapport aux valeurs préthérapeutiques.
Lignes directrices : États-Unis versus Canada
Présentant la perspective états-unienne au cours d’un débat tenu pendant le congrès, le Dr Deepak L. Bhatt, Directeur administratif des Programmes de cardiologie interventionnelle, à l’École de médecine de l’université Harvard, à Boston, au Massachusetts, a fait valoir que la détermination du risque CV en fonction des concentrations de C-LDL repose sur une « équation très complexe » tenant compte de facteurs tels que l’adhésion au traitement, les médicaments axés sur le mode de vie et les traitements. Il a défendu la décision prise en 2013 par l’American College of Cardiology et l’American Heart Association (ACC/AHA) de s’abstenir de fixer une valeur cible précise pour le C-LDL dans leurs lignes directrices.
« En attendant que des essais comparatifs à répartition aléatoire nous prouvent qu’un certain composé permet de raréfier les incidents CV, nous devons fonder nos décisions sur les données que nous ont fournies ce type d’essais jusqu’à maintenant plutôt que sur un chiffre magique et mystique quelconque », a déclaré le Dr Bhatt. Reconnaissant que des essais comparatifs à répartition aléatoire ont permis d’établir un parallèle entre la concentration de C-LDL et la réduction des incidents CV, il a toutefois souligné que cette dernière est un phénomène progressif et non pas la conséquence d’une concentration de C-LDL particulière (Fig. 1).
Plutôt que de préconiser un chiffre précis, les lignes directrices de l’ACA et de l’AHA recommandent d’abaisser les concentrations de C-LDL de 30 à 50 % ou de 50 % au moins selon les facteurs de risque en présence, comme une maladie CV athéroscléreuse ou un risque à 10 ans d’une telle maladie de 7,5 % ou plus, une concentration de C-LDL irrépressible, l’âge et le diabète sucré.
« Au final, nous devons abaisser le C-LDL à la concentration à la fois la plus faible et la plus sûre possible, mais nous avons besoin de conseils pour le faire. » Dr Shaun Goodman
Prenant la défense des lignes directrices de la Société canadienne de cardiologie, le Dr Shaun Goodman, Chef adjoint du Service de médecine cardiovasculaire, à l’hôpital St. Michael’s, de Toronto, a affirmé qu’il est nécessaire de fournir des conseils pratiques aux cliniciens. Même s’il s’agit de réductions fondées sur les risques en présence, a-t-il indiqué, les valeurs cibles incitent les cliniciens à intensifier le traitement afin d’atteindre les concentrations de C-LDL que les essais comparatifs à répartition aléatoire ont reliées à une réduction du risque comparativement aux concentrations plus élevées. « Pouvons-nous nous fier à une baisse de 50 %? Ne voudriez-vous pas vous situer dans un groupe encore plus faible si vous aviez une maladie cardiovasculaire? », a demandé le Dr Goodman. Il a ajouté que tout indique que les données citées dans les lignes directrices canadiennes et qui établissent un parallèle entre une concentration de C‑LDL inférieure à 1,8 mmol/L et une baisse du risque CV par rapport aux concentrations plus élevées chez les patients très vulnérables, justifient à tout le moins que l’on vise une réduction d’une telle ampleur des concentrations de C‑LDL même si des diminutions encore plus importantes atténuent davantage le risque.
« Il faudra actualiser les deux séries de lignes directrices, puisque de plus en plus de données probantes prêchent en faveur d’autres traitements hormis les statines. » Dr Shaun Goodman
En substance, les lignes directrices états-uniennes et canadiennes ont été alimentées par les essais multicentriques d’envergure menés sur les statines au cours des 20 dernières années. Même si leurs auteurs des deux côtés de la frontière ont tiré des conclusions différentes à propos de l’application clinique de ces données, il n’en demeure pas moins qu’« il faudra actualiser les deux séries de lignes directrices, puisque de plus en plus de données probantes prêchent en faveur d’autres traitements hormis les statines », selon le Dr Goodman.
Les inhibiteurs de la PCSK9
Si ces données probantes à l’appui de pareils traitements sont surtout issues d’un essai sur l’ézétimibe publié plus tôt cette année, les nombreux essais portant sur l’alirocumab et l’évolocumab, des inhibiteurs de la PCSK9, ont grandement enrichi les données probantes selon lesquelles les réductions relatives des concentrations de C-LDL sont en corrélation avec une raréfaction relative des incidents CV, indépendamment du traitement qui permet de les obtenir.
Par exemple, au cours de l’essai ODYSSEY LONG-TERM, les concentrations de C-LDL ont été abaissées de 62 % chez les sujets traités par l’alirocumab comparativement à ceux ayant reçu le placebo (Robinson, J. G., et al. N Engl J Med, vol. 372, 2015, p. 1489-1499). Bien que la réduction du risque CV soit un paramètre d’évaluation principal de l’essai ODYSSEY OUTCOMES qui est toujours en cours, une analyse des données de l’essai LONG-TERM réalisée a posteriori a permis de faire le rapprochement entre cette baisse et une chute de 52 % (p = 0,02) d’un ensemble d’incidents CV, y compris le décès des suites d’une coronaropathie.
Un article sur l’essai OSLER (Sabatine, M. S., et al. N Engl J Med, vol. 372, 2015, p. 1500-1509), qui a été publié en même temps que celui sur l’essai ODYSSEY LONG-TERM, a fait état de données similaires sur l’évolocumab. Selon le Dr Jean Genest, Professeur de médecine à l’université McGill, de Montréal, au Québec, les données de cet essai sur l’efficacité hypolipémiante de ces agents sont pour ainsi dire « incontestables ».
D’après le Dr Milan Gupta, Professeur adjoint de clinique au Département de médecine de l’université McMaster, à Hamilton, en Ontario, il reste à savoir s’il y a des différences ou non entre ces inhibiteurs de la PCSK9 pour ce qui est de leur effet hypolipémiant. « Des doses pratiquement équivalentes de ces deux agents permettent d’abaisser énormément la cholestérolémie, soit de 60 à 70 % au moins. Cela dit, l’alirocumab a un avantage : il peut être administré à raison de 75 mg toutes les 2 semaines et abaisser quand même le C‑LDL de 40 à 50 % chez les patients chez lesquels une concentration de C-LDL très faible pourrait être préoccupante », a déclaré le Dr Gupta.
Le Dr Gupta a tenu à préciser que les deux essais publiés récemment sur les inhibiteurs de la PCSK9 ont été effectués avec une méthodologie différente. Il a particulièrement souligné le déroulement à double insu de l’essai comparatif à répartition aléatoire qui a été mené sur l’alirocumab, alors que les chercheurs de l’essai sur l’évolocumab ont opté pour un mode ouvert. De plus, la durée médiane du traitement par l’alirocumab était plus longue et la population à l’étude, moins hétérogène, puisqu’elle comprenait plus de patients ayant des antécédents de maladie CV, plus de patients atteints d’hypercholestérolémie familiale hétérozygote et plus de patients qui suivaient aussi un traitement par une statine à forte dose.
L’avenir
Les lignes directrices régissant la réduction du risque CV au moyen de traitements hypolipémiants, qui reposaient généralement sur les essais ayant porté sur les statines, sont susceptibles d’être révisées maintenant qu’une plus grande abondance de données probantes vient confirmer que d’autres traitements hormis les statines permettent d’abaisser le risque CV. Les essais en cours sur les résultats obtenus avec les inhibiteurs de la PCSK9 notamment pourraient bien justifier une redéfinition des objectifs à atteindre.