Cardiologie
Congrès sur l’insuffisance cardiaque de 2018 et congrès mondial sur l’IC aiguë
Veiller à ce que tous les patients atteints d’insuffisance cardiaque reçoivent un traitement optimal
Vienne – Le vide thérapeutique a été au cœur de nombreuses présentations données au congrès consacré à l’insuffisance cardiaque (IC) de cette année. Un des freins importants à l’amélioration de l’issue de la maladie chez les patients atteints d’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection réduite (ICFEr), c’est que les traitements ne sont pas offerts à tous ceux qui pourraient en bénéficier, même s’ils sont recommandés dans les lignes directrices thérapeutiques et que de nombreuses études rigoureuses menées avec répartition aléatoire en ont confirmé les bienfaits sur la morbidité, la mortalité et la qualité de vie (QdV). Autre difficulté : le manque de traitements fondés sur des données probantes à opposer à l’IC à fraction d’éjection intermédiaire (ICFEi). Pour ce qui est de l’IC aiguë (ICA), malgré les nombreuses études réalisées ces dernières années, aucun algorithme, aucun médicament, ni aucune intervention fondée sur des données probantes ne permet semble-t-il d’améliorer l’issue du traitement.
Le traitement de l’ICFEr connaît des progrès
Une méta-analyse en réseau présentée lors du congrès par le Dr Michel Komajda, du Département de cardiologie, de l’Hôpital Saint-Joseph, de Paris, en France (KOMAJDA, M. et al. Eur J Heart Fail, 27 mai, diffusé en ligne avant impression) a mis au jour les progrès réalisés au cours des 30 dernières années dans le traitement de l’ICFEr grâce aux associations médicamenteuses. Celles qui ont eu les effets les plus marqués sur les principaux indicateurs de résultat étaient composées d’un médicament alliant un inhibiteur de la néprilysine à un antagoniste des récepteurs de l’angiotensine (ARNI; sacubitril-valsartan), d’un β-bloquant et d’un antagoniste des récepteurs minéralocorticoïdes (ARM) ou d’un inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IECA), d’un β-bloquant, d’un ARM et d’ivabradine, un inhibiteur du courant If.
Au terme de l’examen des données collectées dans 58 essais cliniques publiés de 1987 à 2017 et ayant porté sur des classes de médicaments recommandées dans les lignes directrices pour le traitement de l’ICFEr chronique (FE inférieure à 45 %), le Dr Komajda et ses collègues ont en effet constaté que comparativement à un placebo, ce sont les associations ARNI-β-bloquant-ARM et IECA-β-bloquant-ARM-ivabradine qui avaient produit les plus fortes réductions du risque de décès toutes causes confondues (62 % et 59 %, respectivement) (Fig. 1) et d’origine cardiovasculaire (64 % et 59 %). Ils ont aussi noté une baisse de 42 % du risque d’hospitalisation toutes causes confondues avec les deux associations, ainsi qu’une réduction des hospitalisations motivées par une aggravation de l’IC (73 % et 75 %; (Fig. 2). Comme le faisait remarquer le Dr Komajda, ces données viennent étayer les recommandations des lignes directrices internationales actuelles sur la prise en charge de l’ICFEr.
Pendant une discussion tenue lors du congrès, le Pr Mitja Lainscak, de l’Hôpital général Murska Sobota et de la Faculté de médecine de l’Université of Ljubljana, en Slovénie, a plaidé pour une utilisation plus généralisée de ces associations médicamenteuses après avoir admis que la communauté médicale n’applique pas les lignes directrices comme elle le devrait.
Extrapolation des recommandations des lignes directrices
En 2016, la SEC (PONIKOWSKI, P., et al. Eur Heart J, vol. 37, 2016, p. 2129-2200) et l’American College of Cardiology (ACC) en concertation avec l’American Heart Association (AHA) (YANCY, C., et al. J Am Coll Cardiol, vol. 68, 2016, p. 1476-1488) ont publié d’importantes lignes directrices inédites ou actualisées sur l’IC. Ont suivi en 2017, celles de la Société canadienne de cardiologie (SCC) (EZEKOWITZ, J.A., et al. Can J Cardiol, vol. 33, 2017, p. 1342−1433). Dans toutes ces lignes directrices, il est maintenant recommandé de remplacer les IECA ou les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine (ARA) par un ARNI (sacubitril/valsartan) chez les patients qui restent symptomatiques malgré un traitement médical respectant les lignes directrices.
Cette recommandation découle des résultats de l’étude PARADIGM-HF, au cours de laquelle un ARNI adjoint aux soins types a été relié à une baisse de 20 % du paramètre d’évaluation principal composé des décès d’origine cardiovasculaire et l’hospitalisation pour cause d’IC, de même qu’à des réductions de 20 % des décès d’origine cardiovasculaire (Fig. 3), de 21 % des premières hospitalisations motivées par une aggravation de l’IC et de 16 % des décès toutes causes confondues, ainsi qu’à des améliorations de la qualité de vie (MCMURRAY, J.J., et al. N Engl J Med, vol. 371, 2014, p. 993-1004).
Le Pr Andrew Coats, de l’Université Monash, en Australie, et de l’Université de Warwick, au R.-U., a indiqué que les résultats de l’étude PARADIGM-HF pouvaient être extrapolés aux patients qui ne satisfaisaient pas tous ses critères d’admissibilité, notamment ceux liés à l’âge, à la concentration de peptide B-natriurétique (BNP) ou à la pression artérielle. Il a ajouté qu’il était possible d’entreprendre un traitement à l’aide de demi-doses d’un IECA chez les patients n’ayant jamais pris ce type de médicament avant de passer à l’association sacubitril-valsartan, dans la mesure où une démarche semblable à celle de l’étude est respectée.
Le Dr Milton Packer, du Centre médical de l’Université Baylor, à Dallas, au Texas, a souligné que maintenant qu’un ARNI est recommandé dans les lignes directrices, son utilisation dans les soins courants s’étend au-delà du cadre défini par les critères d’admissibilité des essais cliniques en général, dont l’étude PARADIGM-HF. Cette option de traitement est de plus en plus employée utilisée en pratique clinique, puisque les professionnels de la santé la connaissent de mieux en mieux. « Ce n’est pas parce qu’un patient ne répond pas à un seul des critères d’admissibilité à l’étude PARADIGM-HF qu’il doit être privé de l’association sacubitril-valsartan, même s’il n’a pas pris un IECA auparavant », a-t-il martelé.
L’expérience acquise en contexte réel versus les essais cliniques
Il est possible que l’expérience acquise en contexte réel avec les nouveaux traitements ne soit pas à l’image de celle vécue dans le cadre des essais cliniques, comme en témoignent les études d’observation réalisées dans des établissements où des critères d’admissibilité plus stricts sont appliqués. Par exemple, à la différence des critères d’admissibilité établis lors de l’étude PARADIGM-HF, les lignes directrices de la SEC de 2016 sur l’IC stipulent que pour être admissibles à un traitement par un ARNI, les patients doivent absolument rester symptomatiques (classe II ou III de la NYHA) malgré l’utilisation d’un traitement optimal comprenant un ARM. Toutefois, à l’Hôpital Notre-Dame-de-Lourdes, de Drogheda, en Irlande, où sont pourtant appliquées les lignes directrices de la SEC, des chercheurs croient que l’ajout de cette étape supplémentaire à l’algorithme de traitement pourrait priver de l’association sacubitril-valsartan certains patients susceptibles d’en tirer avantage. Le Dr Tim O’Connor a rapporté que parmi les 434 patients atteints d’ICFEr dirigés vers son service en 2 ans, seulement 27 des 116 (23 %) dont la fraction d’éjection était égale ou inférieure à 35 % satisfaisaient aux critères définis par la SEC pour la prescription d’un ARNI. La principale raison invoquée pour expliquer qu’ils en aient été privés était qu’ils prenaient une dose insuffisante d’IECA-ARA (58 %). D’autres raisons ont aussi été invoquées : ils étaient asymptomatiques, leur pression artérielle systolique était faible (moins de 95 mmHg) ou leur DFG était inférieur à 30 mL/min. Le Dr O’Connor préconise un assouplissement des critères d’admissibilité pour que plus de patients aient accès à l’association sacubitril-valsartan.
La stabilité clinique des cas d’IC « légère » : un mythe
De l’avis du Dr John McMurray, du Centre de recherche cardiovasculaire de la BHF, de l’Université de Glasgow et de l’Hôpital universitaire Reine-Élizabeth, en Écosse, deux raisons expliquent que les patients ne reçoivent pas un traitement optimal : les médecins croient qu’il est possible que des patients soient aux prises avec une « IC légère » et qu’ils sont capables de la stabiliser avec le traitement qu’ils ont prescrit, ce qui leur donne au faux sentiment de sécurité. « L’IC légère, ça n’existe tout simplement pas, a-t-il déclaré. C’est vrai que certains patients atteints d’IC éprouvent des symptômes légers, mais leur état évolue rapidement, même avec un traitement optimal. Des patients atteints d’IC stable, même s’ils manifestent des symptômes légers, qui sont traités de façon appropriée et qui n’ont pas été hospitalisés récemment, ça n’existe pas. C’est un mythe ».
« Des patients atteints d’IC stable, même s’ils manifestent des symptômes légers, qui sont traités de façon appropriée et qui n’ont pas été hospitalisés récemment, ça n’existe pas. C’est un mythe ».
Cette affirmation a été confirmée lors de l’analyse de l’ensemble des données recueillies auprès 14 415 patients affligés d’une ICFEr qui ont participé aux études PARADIGM-HF et ATMOSPHERE (MCMURRAY, J.J., et al. N Engl J Med, vol. 374, 2016, p. 1521-1532). Ces patients étaient âgés de 63 ans en moyenne et étaient traités correctement au vu des normes établies. Le tiers des patients appartenant à la classe II de la NYHA, qui éprouvaient des symptômes légers, qui n’avaient pas été hospitalisés au cours des 12 mois précédents et qui étaient donc considérés comme stables, étaient morts après 5 ans, a fait observer le Dr McMurray (Fig. 4). Environ 40 % d’entre eux avaient succombé à un trouble cardiovasculaire ou avaient été hospitalisés au moins une fois en raison de leur IC. En une année à peine, approximativement 10 % d’entre eux avaient subi un accident cardiovasculaire grave. Au bout de 4 mois, 25 % des patients accusaient une baisse de 5 points au questionnaire KCCQ (Kansas City Cardiomyopathy Questionnaire), ce qui témoigne d’une détérioration majeure de la qualité de vie (QdV) et est associé aux issues cliniques les plus sombres.
« Nous devons en faire plus pour nos patients. Si nous faisons preuve d’inertie clinique, ce qui est une tendance naturelle chez les humains, nos patients ne seront pas aussi bien qu’ils le pourraient, a déclaré le Dr McMurray. Plus nous interviendrons tôt, mieux ce sera parce que tous ces traitements agissent très rapidement », a-t-il insisté, notant au passage que les chercheurs de l’étude PARADIGM-HF ont vu une amélioration significative (35 %) des résultats 30 jours à peine après la répartition aléatoire des sujets.
L’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection intermédiaire
Une des nouveautés de l’édition 2017 des lignes directrices de la SCC a été l’ajout de l’IC à fraction d’éjection intermédiaire (ICFEi), qui y est définie comme une FE située entre 41 et 49 %. D’après le Pr Coats, cet ajout vise, entre autres, à susciter la réalisation de plus d’essais cliniques et d’analyses dans cette population de patients. « Nous ne savions pas si l’ICFEi ressemble à l’ICFEr ou à une insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée (ICFEp) physiopathologiquement parlant », a-t-il admis.
« Nous ne savions pas si l’ICFEi ressemble à l’ICFEr ou à une insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée (ICFEp) physiopathologiquement parlant. »
Quant à son traitement, le Pr Coats a déclaré : « Je crois que le candésartan et les β-bloquants sont des agents bien établis sur le plan clinique, pas au sens strict des critères des lignes directrices, mais plutôt sur la base du gros bon sens, à la lumière de ce que nous ont appris les données probantes ».
Il ressort de l’analyse des données collectées chez les 1322 patients atteints d’ICFEi ayant participé au programme d’essais cliniques CHARM que le candésartan a permis d’obtenir une baisse statistiquement significative (24 %) du paramètre d’évaluation principal qui était composé des maladies cardiovasculaires et des hospitalisations motivées par l’IC (LUND, L.H., et al. Eur J Heart Fail, 12 février, diffusé en ligne avant impression). Il a toutefois précisé qu’il ne s’agissait pas d’un groupe de sujets prévu au protocole et qu’il ne faut pas y voir une preuve en bonne et due forme, mais plutôt des données probantes de plus.
Une méta-analyse de 11 essais ayant porté sur des β-bloquants a fait état d’une réduction statistiquement significative des décès toutes causes confondues (41 %) et des décès d’origine cardiovasculaire (52 %) chez les 575 patients dont la FE se situait entre 40 et 49 % (CLELAND, J.G.F., et al. Eur Heart J, vol. 39, 2018, p. 26-35).
Le Pr Coats a suggéré que ces analyses soient prises en compte dans les prochaines lignes directrices sur l’IC, même si elles ne donnaient pas lieu à des recommandations de la même fermeté que celles qui découleraient d’un essai clinique prospectif.
Le traitement pharmacologique de l’insuffisance cardiaque aiguë (ICA)
Selon les lignes directrices d’importance, la pierre angulaire du traitement de l’ICA reste l’administration de diurétiques en première intention, même si de nombreuses études ont établi un parallèle entre des doses élevées de ces agents et une issue défavorable, et malgré l’apparition d’une résistance, a noté le Pr Marco Metra, de l’Institut de cardiologie de l’Université de Brescia, en Italie.
D’autres traitements, y compris d’autres modes d’administration du furosémide, et les agents soi-disant « néphroprotecteurs » (rolofylline, dopamine à faible dose, nésiritide) ayant fait l’objet d’essais cliniques au cours des dernières années ont eu un effet nul sur les résultats cliniques.
Les premières études réalisées avec le torsémide ont laissé soupçonner qu’il pourrait remplacer le furosémide et qu’il pourrait même permettre d’obtenir de meilleurs résultats dans les cas d’ICA (BIKDELI, B., et al. J Am Coll Cardiol, vol. 61, 2013, p. 1549-1550). Or un essai clinique mené avec répartition aléatoire aux États-Unis, l’essai TRANSFORM-HF, sert à comparer les effets de ces deux agents sur les décès toutes causes confondues chez 6000 patients (Fig. 5). Le Pr Marco Metra a aussi mentionné que des essais portant sur l’ajout d’autres diurétiques ou sur des médicaments susceptibles de remplacer ces produits ont essentiellement abouti à des résultats neutres.
Il a ajouté que deux essais cliniques menés avec de l’ularitide (TRUE-AHF) et de la sérélaxine (RELAX-AHF-2) ont servi à vérifier l’hypothèse voulant qu’un traitement de courte durée soit dommageable pour l’issue à long terme de la maladie, mais elle ne s’est pas avérée. « Le traitement prolongé de l’ICA doit être optimalisé pendant l’hospitalisation du patient, avant qu’il quitte l’établissement », a-t-il insisté.
Selon une étude de cohorte présentée par le Dr Luiz C.S. Passos, de l’Université fédérale de Bahia, de Salvador, au Brésil, l’association sacubitril-valsartan est un traitement possible chez les patients hospitalisés en raison d’une IC aiguë décompensée. Des 543 patients ayant une FE inférieure 50 %, 198 (36,5 %) se sont révélés admissibles au traitement selon les critères d’admissibilité établis pendant l’étude PARADIGM-HF. Bien que cette possibilité n’ait pas été vérifiée dans le cadre d’un essai clinique, cela porte à croire qu’environ le tiers des patients affligés d’ICA pourraient tirer avantage de l’association sacubitril-valsartan avant leur départ de l’hôpital.
Conclusion
Bien que des traitements efficaces contre l’ICFEr soient facilement accessibles, il faudra déployer plus d’efforts à l’échelle mondiale pour veiller à ce que les patients qui pourraient en bénéficier les obtiennent. Ces efforts pourraient prendre la forme d’initiatives destinées à augmenter la prescription des traitements recommandés dans les lignes directrices et à améliorer l’information et la participation des patients, ainsi que la planification du départ des patients atteints d’IC de l’hôpital. La complexité de l’ensemble des options de traitement appuyées par des données probantes opposées à l’IC vient avec son lot de nouvelles difficultés. Il faudra approfondir la recherche sur le comportement physiopathologique de l’ICFEi et de l’ICA pour qu’ensuite des traitements efficaces puissent être créés.